Je
rêvais de Nord, je rêvais d’eau, les deux rêves se sont télescopés aux
Territoires du Nord-Ouest.
À
Yellowknife, le Capitaine m’a dit : « Il y a trois sortes de
personnes ici : des missionnaires, des mercenaires et des mésadaptés, des
gens qui sont nulle part à leur place. T’es dans quelle catégorie? »
J’avais
envie d’y répondre : Aucune, je suis en train de rêver.
Ben
des Amérindiens font partie des mésadaptés, ici comme ailleurs nulle part à
leur place. Une femme m’a dit : ma grand-mère avait honte d’être
Amérindienne, ma mère avait honte, pis moi aussi. Quand j’étais petite, je me
frottais la peau pour devenir plus pâle. C’était pas cool d’être Amérindienne.
Ça m’a pris du temps à guérir.
Au
centre-ville, les toilettes des restaurants sont tout le temps barrées. Y
ont-tu peur qu’on leur vole leur marde? Ben non, c’est pour pas que les
Amérindiens y dorment. Ou qu’ils s’y lavent, pour essayer de devenir Blancs.
D’ailleurs, c’est au A&W qu’il y a le plus d’Amérindiens, et si tu veux
avoir les clés des toilettes, faut que tu les demandes au plus ÉNORME agent de
sécurité de tout Yellowknife. CQFD : Va te blanchir ailleurs.
C’est
cosmopolite ici, tellement. J’aurais pas pensé. Mais pas le cosmopolitisme
montréalais. En partant, en plus du français et de l’anglais, y a neuf langues
officielles, juste pour les Amérindiens, les Métis et les Inuits, qui sont 52%
de la population. Et y a plein de Philippins et de Chinois, de Somaliens.
Faudra ben qu’un soir un Somalien me raconte la ronne qui l’a mené au 60e
parallèle.
Un
après-midi sur le bord du Frame Lake. La lumière est tellement belle, l’air
scintille, vibre doucement. C’est Folk on the rocks. Un gars joue du piano, à
la Satie. Des enfants de toutes les couleurs dansent ensemble. Games without
frontiers. Je suis tellement heureux que j’ai envie de pleurer. Je me dis que
maintenant, c’est correct, je pourrais mourir. Comblé. Pus de regrets.
Une
telle plénitude. Comme une récompense de la vie pour avoir arrêté de boire,
pour essayer d’être un bon gars. Mais les récompenses, ça existe pas. Des
tonnes de bien meilleures personnes meurent tous les jours sous les
mitraillettes de la connerie. Alors je meurs pas, tu penses. Pas avant d’avoir
serré la main au poisson inconnu (Stenodus leucichthys),
d’avoir revu mes amours.
Après
l’ouvrage quand je rentre chez nous, Saint-Ex et LaFontaine se télescopent. Je
croise souvent des renards, ça ramène invariablement mes pensées à mon tit-gars, on avait bossé ensemble
sur sa présentation orale du Petit Prince. Mais les renards me demandent pas de
quelle planète je viens, ni si on y trouve des poules. Et pis y a les corbeaux,
vraiment énormes, très bigues, que les corneilles ont l’air d’être des colibris
à côté de… Quel chant horrible, la honte de la corporation des oiseaux... jusqu’à
ce que tu découvres de quoi ils sont vraiment capables. Les renards parlent pas non plus aux
corbeaux. Yellowknife, anyway, c’est pas une place de fromages. Par contre, le
brochet est on ne peut plus frais.
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