Le
jour de l’ouverture du nouveau supermarché, tout alla bien. Les clients
étaient ravis de trouver autant de produits à d’aussi bons prix, vendus
par des gens gentils. Les propriétaires firent des beaux profits.
Mais
le lendemain matin, une foule de clients mécontents rapportèrent leurs
achats. Certains se plaignaient que la crème glacée goûtait le détergent
à vaisselle, d’autres que le filet de bœuf enlevait les taches les plus
récalcitrantes.
Le
gérant de la place fit venir un grand nombre de spécialistes pour
régler le problème : des inspecteurs du ministère de l’Agriculture,
Pêcheries et Alimentation du Québec (MAPAQ), des urbanistes, des
actuaires, et même un exorciste.
Mais
c’est un archéologue qui trouva la source du problème. Grâce au journal
d’un prêtre jésuite venu évangéliser la Nouvelle-France voilà plus de 2
siècles, il découvrit que l’épicerie était construite par-dessus le
caveau funéraire d’un shaman abénaki.
Truite
Abstraite fut le sorcier d’une tribu dont le territoire s’étendait
jadis de East Farnham jusqu’à Saint-Armand –mais sans Pigeon Hill,
terrain neutre que les Amérindiens auraient alors appelé la Suisse, si
tant est qu’ils eussent pu connaître ce pays, un des seuls d’Europe qui
ne les envahit point. Les Amérindiens de toutes les tribus allaient
jouer au bridge à Pigeon Hill sans crainte de se faire fendre le crâne
par un tomahawk pour avoir triché.
Truite
Abstraite était un shaman renommé bien au-delà de son territoire car sa
maladresse était vaste qu’un stationnement de supermarché. Il reçut
d’office le poste de son prédécesseur, Mouche Virile, qui reconnut en
lui, dès son plus jeune âge, les signes distinctifs d’un homme de magie :
un nez aux courbures bizarres, totalement illégales en regard des
règlements trigonométriques de la Confédération des géomètres
algonquiens (CGE), une manière de danser le hip-hop à contretemps sur
des valses de Strauss et un don indubitable pour différencier un saumon
faisandé d’un faisan saumoné.
Truite
Abstraite était aimé de sa communauté car il se laissait marcher sur
les pieds sans faire de commentaires, sinon en les lavant.
Malheureusement, il contrôlait mal ses pouvoirs, particulièrement
lorsqu’il avait le hoquet. C’est ainsi qu’un jour, il stérilisa toutes
les bougabouches à crête flasque de la rivière Yamaska sud-est alors
qu’il voulait simplement s’enlever une écharde. C’est pourquoi
aujourd’hui on ne retrouve plus aucune bougabouche dans les Cantons. Une
autre fois, Truite Abstraite donna des dimensions gigantesques à une
cyanobactérie qui lui avait demandé du feu. On l’appela désormais
Memphré.
Truite
Abstraite était tout de même un être logique : lorsqu’il mourut il
décéda simultanément et même trépassa un peu. Tristes mais soulagés, ses
congénères l’enterrèrent dans le caveau familial, près de la piste
cyclable. Mais ils oublièrent, lors de la cérémonie, de chanter le
traditionnel Gens du pays, d’où la sourde colère de Truite Abstraite, même dans l’au-delà.
Des
siècles plus tard, grâce à l’archéologue, on répara cette erreur avec
30 choristes, une section de cuivres et une guitare électrique, parce
que j’aime bien la guitare électrique.Truite Abstraite repose désormais
en paix et à l’épicerie, le tofu est vraiment frais.
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