lundi 31 mars 2014
Passe de saison
La
grosse veine palpite de plus en plus vite, les respirations se font plus
espacées et profondes : Sandy retire juste à temps de sa bouche la bite du
skieur et lui enfonce deux doigts dans le cul. C’est ce qu’elle appelle son
spécial full-pipe free style,
très apprécié des aficionados du remonte-pente.Le
skieur rââââle et éjacule dans les cheveux de Sandy, dans la belle teinture
mauve et blanche qu’elle s’est fait faire la semaine passée, pour ressembler à
sa chanteuse préférée. Il remonte ses pantalons de ski Rossignol, paie, et
retourne dans le bar.Devant
le miroir, une Sandy bourrée s’essuie distraitement les cheveux avec des
serviettes. Face à son impuissance à évacuer quelques îlots de sperme
récalcitrants, elle choisit une solution simple : elle sort sa tuque de la
poche de son manteau de cuir et s’en coiffe. Ça éponge. Sandy est plutôt du
genre fashion victim : la
tuque –en laine, lignes vertes et noires, c’est pas pour la chaleur mais pour
le look grunge. Et elle a été tricotée par Lorna, la personne qu’elle a le plus
aimée dans sa famille, dont il reste aujourd’hui si peu. Lorna, c’était sa
grand-mère maternelle, qui l’a élevée entre sept et neuf ans. Les meilleures années de sa vie, des
vrais repas tous les jours, des jeux dans le bois, de petits travaux sur la
vieille ferme et, surtout, la présence forte et tellement réconfortante de sa
grand-mère.
Cette
période heureuse a commencé avec le départ de Kathleen, la mère de Sandy, s’est
terminée avec son retour. Pas qu’elle soit méchante, la génitrice, mais elle
est teeeeeeellement conne, elle traîne avec elle un vacuum d’emmerdements, elle
démontre des aptitudes inouïes pour se mettre dans le pétrin… et y entraîner
les autres. Kathleen avait un talent exceptionnel pour créer des bijoux. Le
plus grand bijoutier de Montréal, pourtant si imbu de son statut, la recevait
sans rendez-vous. Elle a donc placé Sandy chez sa grand-mère et s’est installée
à Montréal. Ça y était, elle avait réussi à s’évader de son bled paumé peuplé
d’agriculteurs en faillite, et de lumpen-Hillbillies sans avenir et même sans
présent, un univers obsolète en voie de disparaître sous le rouleau compresseur
de la gentrification et de la retraite des baby-boomers.Mais
non, l’auto-sabotage avait a prévalu. Kathleen avait rapidement rencontré un
crétin inféodé à la Scientologie. Un super beau mec, Sandy avait vu les photos,
mais un crétin quand même. Alors pendant huit mois, Kathleen avait arpenté les
rues, sollicitant les quidams pour qu’ils passent le fameux test de Ron L.
Hubbard, 120 questions, mille misères. Tout l’argent des bijoux servait
dorénavant à éclaircir le mental réactif de Sandy et du crétin. Puis, fric ou
non, le ministre de terrain scientologue en était arrivé à la conclusion que
les engrammes de Kathleen étaient un peu trop saturés de tétrahydrocannabinol
et l’avait bannie de l’Église de Scientologie. Bannie de la Scientologie, la
honte, aussi humiliant que d’arriver second dans un cent mètres pour
catatoniques. Et le crétin avait fait son choix : Ron L. Kathleen était
retournée dans les Cantons, avait repris Sandy et s’était trouvé un boulot dans
un salon de coiffure.Sandy
partira aussi, mais ne reviendra pas, sinon pour y avoir un chalet en haut de
la côte, comme les gens beaux et fortunés. Pour l’instant, elle retourne au bar
où l’attend Tamara, sa petite camarade de travail. Son air guilleret de légume
hydroponique prend sa source dans une longue succession de shooters. Deux
margeritas plus tard, le sperme a séché dans la crinière de Sandy. En enlevant
sa tuque pour s’éponger le front, elle s’arrache involontairement quelques
cheveux. Son pimp
n’aimerait pas cette négligence. Le gars, Brad, est le directeur du marketing
de la station de ski et il a des idées bien arrêtées sur ce que c’est qu’avoir
de la classe. On se demanderait d’ailleurs ce qu’il fait avec Sandy, une prolo
mal dégrossie, si ce n’était de sa jeunesse et de son corps de rêve qui, c’est
à craindre, faneront rapidement. C’est bien connu, la fonction détruit
l’organe.
Justement,
les filles s’en vont le rejoindre dans la maison mobile qu’elles partagent dans
le parc près de la sortie de l’autoroute. Le gars n’a pas besoin de cacher sa
flamboyante Audi rouge puisqu’il est aussi gérant du parc. Son père était un
modeste employé de la station de ski, un homme sans envergure avec qui Brad a
d’ailleurs rapidement coupé les ponts. Lui, il a le sens des affaires. À 27 ans
seulement, il cumule divers postes de prestige et le meilleur est à venir. Être
pimp, c’est la cerise
sur le sundae. Ça lui permet de juxtaposer ses fantasmes personnels à sa montée
dans les échelons du pouvoir. Voilà deux ans qu’il offre Tamara et Sandy à ses
clients VIP. L’hiver dernier, il a même fait ouvrir le remonte-pente de nuit
pour un sous-ministre de l’environnement qui se faisait tirer l’oreille pour
autoriser l’ouverture de nouvelles pistes sur le flanc est du massif, en raison
de la présence d’espèces en péril. Des salamandres, du ginseng… hostie de moron. Dans son télésiège à 200 mètre au-dessus
du sol, sous les étoiles, avec Tamara et Sandy pour le réchauffer, le
sous-ministre a fait un grand
écart dialectique.Ce
tour de force a valu à Brad, de la part de ses patrons, de chaudes
félicitations et quelques actions supplémentaires dans la compagnie. D’autres
clients vinrent plus tard, demandant ce qui était désormais devenu une
spécialité érotico-montagnarde de la station de ski. Ces réclamations prouvaient la convivialité du dialogue
entre le sous-ministre et le patronat. Depuis, Brad a multiplié les opérations
avec son duo Ski & Sex, parfois augmenté de Sun (de son vrai nom
Claudette). Les plus riches des clients sont autorisés à faire du hors piste
avec elles, moyennant une rétribution plus
substantielle.
Brad
inspecte la propreté du divan, en évacue quelques menues miettes de chips, un
vieux kleenex fripé, et s’assoit entre Tamara et Sandy.-
Bonne soirée
les filles?
-
Y te
reste-tu de la coke?
-
Combien vous
avez fait?
-
700$ à
trois. Envoie donc...
-
Honnête.
Modeste mais honnête. Mais là, mes
chéries, vous allez passer à la vitesse supérieure. La classe supérieure, je
devrais dire. Vous êtes attendues
au chalet des Grenier. Des grosses pointures. Aux alentours de 70 ans, mais ils
en veulent encore. Alors, soyez chouette, laissez-vous câliner, faites leur des
compliments gros comme le bras sur leur virilité pis revenez avec un gros
pourboire. Ok?
-
Juste une
once, t’sais? Pas plus?
Brad
se barre sur un soupir. Il sait tout de même que, malgré l’apparent trait plat
caractérisant l’activité cérébrale de son cheptel, il sera obéi à la lettre.
Même qu’il s’en taperait bien une avant de partir, mais des obligations
corporatives l’appellent ailleurs.Le
chalet des Grenier est situé sur la terre ancestrale de la mère de Lorna, celle
où elle a passé une partie de son enfance. La terre a été dans la famille
pendant cinq générations. Kathleen en avait hérité mais John, le père de Sandy,
l’a vendue à l’époque du second référendum. Fuck the separatists qu’il a dit, et il est parti en Ontario,
abandonnant Kathleen et leur fils. Entre la crise d’Octobre et le dernier
référendum, les deux tiers des Anglos ont quitté les Cantons. Il ne reste plus
aujourd’hui surtout que le white trash, ceux et celles qui n’avaient pas l’argent ou l’opportunité
de dégager, les travailleurs saisonniers, les ex-détenus, les hommes à tout
faire, les femmes de ménages, les horticultrices, les préposées aux
bénéficiaires… et les bénéficiaires des préposés.
John
a vendu la terre pour une bouchée de pain à un contracteur, qui l’a divisée en
six lots, où ont été construits autant de somptueux chalets au pied des pistes
de ski, vue imprenable. L’un d’entre eux est devenu la résidence secondaire du
chirurgien Grenier. Mais la plupart du temps, il est à Outremont alors le
chalet est vide, comme 40% des habitations de la municipalité.Les
filles étaient tellement frappées qu’on se demande comment elles ont pu se
rendre chez Grenier, dans la noirceur et la neige qui tombait dru. Sandy frappe
à la porte du « chalet » -château- conviendrait mieux, Tamara sur ses
talons. Un majordome massif et velu les reçoit et les débarrasse de leur
manteau. Malgré son insistance, Sandy garde sa tuque.Tamara
et Sandy sont conduites à travers une série de pièces pour aboutir dans un
grand salon où les portes se referment derrière elles. Quatre personnes les y
attendent, en sous-vêtements. Le chirurgien Grenier lui-même, Bianca Larue,
présidente de la Chambre de Commerce, John J. Hudon, président d’une chaîne de
magasins d’alimentations naturelles, et Philippe Fondor, de Total Contact (la
tour pour les cellulaires sur le mont Ouellet, c’est lui). 68, 72 ans, mais
resplendissants de santé que c’en est indécent. Le dos droit, encore musclés,
le sourire carnassier. À la moitié de leur âge, Tamara et Sandy auront l’air
plus abîmées qu’eux.Tout
demeure, au début, dans les limites. Les filles ont vu pire. Mais
progressivement, la violence fait son nid. Sans que les Sandy et Tamara ne s’en
soient rendu compte, Grenier, Hudon, Larue et Fondor sont gainés de cuir,
équipés de martinets et de divers instruments, complètements pétés.
L’intolérable est atteint, même à travers leur nuage, les filles se rendent
bien compte qu’elles ne pourront jamais raisonner les vieux. Tamara fait signe
à Sandy, et elle s’empare d’un Romanée-Conti qu’elle fracasse sur la tempe de
Larue. Les filles retraversent à
la course la série de pièces, dévalent les escaliers et se retrouvent pieds nus dans la neige,
dans l’air froid qui mord.Sans
pantalons donc sans clés, leur voiture leur est interdite. Elles se précipitent
dans la piste de ski no 4 (Émotion) et y déboulent vers le bas, leurs cuisses
râpées par la surface verglacée. Elles entendent la meute de chiens japper
quand elles obliquent sur la no 3B (Armageddon). Leurs mains et leurs pieds
sont déjà partiellement engourdis. C’est là que les filles se séparent. Tamara
croit qu’en descendant la 3B, elle pourra atteindre le chalet de son oncle et
s’y réfugier. Sandy n’en peut plus. Elle s’enfonce dans un boisé entre deux
pistes et se recroqueville sur le sol. L’hypothermie la gagne, elle s’apaise,
et soudain, toute cette effroyable misère lui semble bien étrangère. La tuque
bien enfoncée sur ses oreilles, Sandy pense à sa grand-mère et se dit que c’est
bien de pouvoir la retrouver.La
mort de Sandy figurera en bas de la page trois du quotidien local. Les
châtelains ne seront jamais inquiétés. Deux d’entre eux seront éventuellement
photographiés dans le même quotidien, remettant des dons à une fondation pour
la lutte contre la toxicomanie chez les adolescents. Quelques
semaines plus tard, dans une chambre d’hôtel, pour se consoler, Brad se fait
faire une gâterie par Tamara. En souvenir de Sandy, celle-ci lui fait un full-pipe
free style, à la
différence qu’au moment où il jouit, elle lui enfonce un canon de revolver dans
le fondement. Elle tire en murmurant : « Le prolétariat
vaincra. »
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire