mercredi 19 juin 2024

Bouchon 2

 

Salvador, Livan et Fernando cueillent des framboises à travers les déchets dans le sous-bois séparant les deux directions de l'autoroute. Les travailleurs agricoles et leur patronne reviennent d'acheter des jeunes poiriers chez un semencier de Saint-Paul. Les deux premiers accueillent avec plaisir le contretemps causé par le bouchon, qui prolonge cette échappée hors de leur quotidien. Fernando est plus circonspect. Contremaître de la ferme, homme d'ordre, il aime que le plan soit respecté. La nature n'a que faire des bouchons et il y a du travail à faire sur la terre. Fernando se gratte la tête avec son moignon. Combien de temps peuvent survivre les poiriers?

Aube Aubé écoute ses employés rigoler en s'épongeant le front et les tempes, heureuse de n'avoir pas eu le temps de se maquiller avant de partir. Elle ajuste le miroir, replace quelques mèches, elle chasse quelques pensées troublées à propos de son ex pour méditer sur son plan d’affaires. Elle n’a jamais passé tant de tant avec ses employés. Fernando ne se débrouille pas si mal en français, Salvador en maîtrise quelques rudiments et pour le reste, elle-même baragouine un peu d’espagnol, grappillé dans ses voyages au Sud.

***


JOUR 2, samedi


Inconfort, insécurité, incertitude sur la reprise de la circulation, ambulances, hélicoptères de stations de télévision, le sommeil des prisonniers du bouchon a été mauvais.

Hier soir, Ulysse est parti chercher du vin au dépanneur en piquant à travers champs et bois. À son retour, il s'est disputé avec Matthieu, qui a fini par lui mettre un grand coup de poing sur le nez. Il se sont réconciliés en buvant la troisième bouteille et le sang a séché sur ses jeans.

Une crise cardiaque a emporté Gulietta Licata, qui s'était allongée sur la banquette arrière de sa Ford Escort 2001.

Philippe a avalé tous ses médicaments, est mort dans son sommeil. Son chien, l'a regardé, assez perplexe. Oui, les mammifères peuvent faire preuve de perplexité. Ensuite, il a gratté dans les fenêtres et jappé. Le voisin de bouchon de Philippe, Aubert (Porsche Panamera) a ouvert la portière et le berger australien s’est sauvé.

Toujours dans le registre animalier, Karine Simard a fait sortir son chat Hugo pour qu'il fasse ses besoins. Hugo s'est aussi sauvé. Karine l’a appelé une partie de la nuit, suscitant d'aigres commentaires de son entourage.

Trois autres personnes sont décédées durant la nuit, dont une par strangulation, qu'on n'a jamais retrouvée; trois autres ont été hospitalisées.

Sur la banquette arrière de leur BMW X5, Samantha a fait du petit galop sur les cuisses d'Antoine. Cette agitation, malgré l'heure tardive et les fenêtres closes, n'a pas échappé à l'attention intriguée des enfants Girard, Eugénie et Benoît Alexandre. (La journée précédente, ils avaient assisté aux funérailles du père de Jean par vidéoconférence sur le téléphone de ce dernier, jusqu’à ce que sa batterie s’éteigne en pleine cérémonie. Il a braillé comme un veau. Il avait oublié son chargeur, comme d’habitude, et interdit à ses enfants d’apporter leur téléphone.

Julien et Clara, un couple de préretraités, ont passé une grande partie de la nuit à écouter Einstein on the beach, l'opéra de Philip Glass. Il y a si longtemps qu'ils voulaient le faire, ils se tenaient la main, ils étaient heureux.

Le mécanisme du toit de sa décapotable s’étant grippé, Karim a passé la nuit sous les étoiles.

David a longuement dragué sa voisine de bouchon, Gladys, 20 ans de moins que lui. Devant l'insistance de l'importun, elle a barré ses portes, remonté ses fenêtres au maximum moins un centimètre pour l'air. Elle s'est retenue longtemps mais il a bien fallu qu'elle sorte et David s'est immédiatement précipité vers elle. Patrick et Samuel l'ont remis à sa place.

Au matin, les survivants sont un peu hagards, désemparés et en colère. Ils abandonnent leur pudeur naturelle pour épancher des besoins qui le sont tout autant; des égouts s’ébauchent dans les sous-bois.

Radio Brome attribue l'embouteillage à l'incendie du Havre cantonal; Ici Estrie, citant un porte-parole du ministère des Transports, évoque la réfection d’un viaduc et affirme que la circulation est figée jusqu'à Sherbrooke.

Dans le bouchon, des rumeurs circulent - elles sont bien les seules. On dit que la paralysie routière est générée par la collision d'un train avec un autobus scolaire (52 morts, le train ne s'est jamais arrêté), l'effondrement d'une tour de 400 logements, le sabotage des plans des ingénieurs routiers par le syndicat des employés de la voirie en lock-out, dans la voiture de tête se trouverait une actrice américaine (Charlize Theron ou Gal Gadot, selon les versions).

Le site Internet du Ministère des Transports est en opération de maintenance. Quand la circulation reprendra-t-elle? Avec l’augmentation vertigineuse du nombre de vols de voitures, personne ne va laisser la sienne ici.


***


Isaac, vapote paisiblement, accoté sur sa fourgonnette, le regard porté vers l’aval de la file. Sa voisine vitupère contre la situation, exige la création d’une commission d’enquête, l'intervention de l'armée, la livraison de vivres.

- Vous voulez un beigne?, répond le livreur, empathique.

- Vous les Québécois, vous savez pas ce que c'est un vrai bouchon s'emporte Céline Gimenez. En 2019 Monsieur, entre Paris et Lyon, nous étions 60 000 voitures. 60 000! Et ça a duré 40 heures. Ça c’était un bouchon. »

Va savoir. Lyon, Paris, Isaac ne connaît pas. Du côté de son père, il descend d'une longue lignée de Loyalistes établie dans les Cantons et bien ancrée dans le territoire. Né dans Brome-Missisquoi, il en est rarement sorti. Sa soeur a visité New-York, s'est dorée quelque fois au soleil de Floride. Secrétaire de notaire, elle méprise Isaac, un gagne-petit instable et bizarre, aux troubles mentaux patents quoi que non diagnostiqués.

- La France...

Des ronronnements de moteurs interrompent la conversation. Des scooters apparaissent en aval de la file de véhicules et se disséminent le long de celle-ci. Un scootériste s'arrête et met son véhicule sur son perchoir à la hauteur de Marvin Ouellet, un joueur de hockey junior, et d'Annie Gaudreault, retraitée de l’enseignement (Dodge Hornet).

Isaac et Céline Gimenez s'approchent pour voir ce qui se passe. René Pacotille et Tania Girard les rejoignent.

Le jeune scootériste éteint son moteur et découvre une caisse sur son porte-bagages. « Sandwichs aux œufs? Liqueurs? », propose-t-il.

Marvin a les crocs.

- Combien pour un sandwich?

- 10$

- Wow, c'est des oeufs de quoi?

- Ils sont frais de ce matin. Ça inclut les frais de livraison.

-Je vais en prendre deux.

- Ça sera huit pour moi dit Tania Girard.

- C’est comme la crise du verglas, commente Isaac. Les gens vendaient les génératrices le double du prix. Ils achetaient des bonbonnes de propane 3$ et les revendaient le triple… Eh, tu vas pas lui vendre les sandwichs ce prix là?

Le jeune commerçant lui lance un regard peu amène.

- Mêle-toi de tes affaires.

- Venez Madame, j'ai du pain et des cretons dans mon camion, ça ne vous coûtera rien.

Le commerçant itinérant les suit vers le camion en invectivant Isaac.

- Eille, j’ai eu des frais d’essence pour me rendre ici. Tu vas pas donner ta bouffe!

- C'est pas à moi.

- C'est pas à toi mais tu la donnes?

- C'est différent.

Le jeune grimpe dans la camionnette et donne un coup de pied dans un sac de Whippets et de moulée, la commande de Yolande McNeil, une sexagénaire de la rue Church qui a la dent sucrée et un lévrier italien.

René Pacotille applaudit le geste. « Bravo jeune homme. La libre-entreprise ne doit pas courber l’échine devant l’état-providence. »


***

Livan rêvasse pendant que ses collègues et sa boss ramassent de l'eau au bout d'une calvette pour abreuver les racines des poiriers dans la benne de la camionnette. Quelques badaudes déambulantes profitent de sa distraction pour le reluquer. Épaules larges, taille étroite, teint hâlé et sourire ravageur, le Mexicain vaut le coup d’oeil.

Livan n'aime pas trop dormir dans une auto mais il apprécie quand même ce répit loin des champs. Il regarde loin devant lui, par-delà les embouchonnés prostrés et les autres qui tournent en rond, et se demande où va la route. L'an passé, à son premier voyage au Canada, il a essayé de se sauver aux États-Unis mais il s'est perdu dans le bois. Ce n’est que le lendemain qu’il est revenu à sa ferme ontarienne dans un état lamentable, sale, déshydraté, tuméfié. Son patron de l’époque n’avait pas gobé ses explications et il a eu de la chance de pouvoir revenir au Canada.

Livan ignore où va cette route mais sait que la frontière n’est pas très loin, cinquante kilomètres peut-être. Quand la circulation reprendra, il pourrait fausser compagnie à sa boss et aux autres, faire du stop et atteindre la frontière. Dans une de ces voitures, il y a une gringa qui aura du plaisir à l’aider à aller aux États-Unis. Son rêve.

Du fond de la calvette, Aube aperçoit un des nombreux vendeurs sur deux roues qui essaiment le long de l’embouteillage freiner près de Livan et de son pick-up. Elle abandonne sa tâche pour les rejoindre.

- Comme vous va?, articule Livan à la livreuse autonome, dans un français périlleux.

- Oh, il est pas d’ici, lui, répond la vendeuse en regardant Aube. C’est votre mignon ramené de Cuba?

Elle n’as pas aussitôt prononcé sa phrase que Fernando et Salvador entrent dans son champs visuel.

- 0h, ils sont trois! Ça doit avoir faim tout ce monde-là! s’exclame-t-elle en ouvrant la fermeture-éclair de sa glacière.

Elle se rend compte que le plus vieux des travailleurs a un moignon du côté droit. Elle s’apprête à formuler un commentaire lorsqu’un regard de Fernando lui signifie l’impertinence de son babil.

Aube Aubé porte un regard dédaigneux sur le contenu de la glacière.

- Vous avez des salades de quinoa?

- De quoi?

- Une salade de quinoa, ou peut-être un taboulé.

- Madame, t’es pas à Cuba ici. J’ai juste des sandwichs au jambon ou aux cretons pis de la liqueur, j’ai des œufs, des tampons, du papier de toilette pis des briquets.

- Voyons, vous, le quinoa, ça vient pas du tout de Cuba. C’est péruvien. Aujourd’hui, c’est très répandu, on en trouve même dans les grandes surfaces.

- Madame, tu peux rajouter des cretons dans ta sandwich au jambon pis peut-être ça va goûter la quinoa?

Après consultation avec les travailleurs agricoles, une commande de deux sandwichs au creton et six au jambon, de deux boissons gazeuses et deux rouleaux de papier de toilette est déposée auprès de la vendeuse itinérante, une citoyenne de Waterloo, fille et petite-fille de chômeurs comme il y en eut tant jadis dans cette cité souvent méprisée par les Granbyens et les Bromontois.

- Ça va faire 115$ dit la Waterlootoise. Votre salade de canola, je peux vous en rapporter demain, mais faut tu payes là.

***

vendredi 17 novembre 2023

Pour une chaise de recherche du Canada sur l’imbécilité naturelle (causerie)


On est réunis pour dévoiler par tirage au sort l’identité de la future ville hôtesse de la chaise de recherche du Canada sur l’imbécilité naturelle.

La mission de la Chaise est de développer des stratégies pour lutter contre les périls que font courir à l’humanité l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine.

Oui, il y a le nucléaire, la guerre, les microplastiques le réchauffement climatique, Mais la base de tout ça, c’est l’intelligence de l’homme.

La radioactivité, l'eugénisme, les pesticides, les mines antipersonnel, les placements à haut capital de risque, les paradis fiscaux. c'est pas des caves qui ont inventé ça. C’est des gens avec des doctorats pis ils sont dangereux!

Plus de 200 villes ont proposé leur candidature.

La ville choisie bénéficiera évidemment de résidences d’imbéciles. Des nuls et des nonos de calibre international viendront collaborer à la lutte contre l’intelligence. Il y a des bénéfices socioéconomiques à ça. Les touristes cons ne sont pas toujours riches mais ils donnent leur argent sans compter.


On va s’entendre sur les termes, on parle de quotient intellectuel, le Q.I. Pas l’intelligence émotionnelle, esthétique, intrapersonnelle ou végétarienne.T’es pas capable de faire un casse-tête de 8 pièces, t’as coulé ton examen de maths allégé secondaire 3? « Non mais je suis très empathique, je le sais que les homards y souffrent quand on les fait bouillir dans de l’eau qui est pas biologique ». Belle excuse hein. On t’aime, t’es pas dangereux.

Ma voisine possède l’intelligence gastronomique. Elle prétend que juste à toucher une circulaire, les yeux fermés, elle peut deviner si le baloney est en spécial. Je l’ai testée... avec une circulaire de Canadian Tire. Oui, ils vendent du baloney chez Canadian Tire. Tu assembles des tranches avec des ty-raps pour faire une Krazy Carpet, ça glisse très bien. Et c’est 4 saisons. L’été durant la canicule, si t’es obligé de laisser ton auto au soleil, même chose, baloney, ty-wrap, t’en mets dans des vitres, pis ça ça reste très frais.


La chaise de recherche est d’autant plus importante que de génération en génération, les gens sont de plus en plus intelligents.

C’est comme les pieds. En 1962, 80% des Québécois chaussaient du 8. 60 ans plus tard, la moyenne c’est rendu du 9 1/2 C’est sûr que notre empreinte environnementale est plus grosse. En plus c’est rendu que t’as genre 300 sortes de chaussures. Des sandales d’hiver, des patins pour les meubles dans le salon l’été, des bottes pour aller aux toilettes.

Le cerveau aussi, ça laisse une empreinte environnementale. Il y a de la matière grise partout maintenant. C’est ça qui fait le smog.

En plus, les gens d’affaires et les militaires font des concours de qui a le plus gros cerveau.

Ha t’as créé un missile? Ben on va créer un bouclier anti-missile.

Ha ha Je m’en tape, j’ai un ingénieur qui a un pos pos pos pos pos doctorat en métaphysique post-nucléaire pis il va créer un missile anti bouclier anti-missile pis en plus il va être équipé avec des bombes puantes!

Ha ha ha, nous autres on a une fille, elle a eu son premier doctorat elle était même pas encore prépubère. Elle va créer un bouclier anti missile anti bouclier anti missile qui transforme les bombes puantes en huile essentielle de chips ripple. Pis en en plus il jouer de la musique de Noël!

Les animaux aussi deviennent de plus en plus intelligents. Mon ver solitaire m’a torché à la bataille navale l’autre jour. Est-ce que c’est normal ça? Je dors plus la nuit, j’ai peur qui vole mon nip pis mon passeport.

Les vaches qui se sont sauvées, c’est juste un début. Avez-vous pas perçu dernièrement une lueur d’intelligence vicieuse dans l’oeil de votre poule ou de votre hamster? La révolte gronde des animaux gronde, Mesdames et Messieurs. Pis ils vont développer leurs propres systèmes d’intelligence artificielle.

Vous êtes tous d’accord avec moi que le gouvernement doit prendre des mesures pour freiner le développement de l’intelligence.

On va interdire le docte tape.

On va donner une bourse à ceux qui abandonnent leurs études. Plus t’abandonnes tôt, plus la bourse est grosse. Tu lâches après la maternelle, c’est 50 000 $ par année pendant 10 ans. Si finis ton primaire, ben c’est sûr que ça descends à 30 000 $ par année., avec un prêt de 20 000$. Tu t’es rendu jusqu’au baccalauréat? T’auras pas une cenne, espèce de déchet de l’humanité. Travaille, mon écoeurant.

On va tripler la taxe sur les jeux éducatifs.

Les gens intelligents qui sortent avec des intelligents, ça doit cesser. Il y a une probabilité trop élevée qu’ils se reproduisent avec entre eux pis que ça donne des enfants encore plus intelligents.

On va mettre des règles tout de suite. Si t’es une fille brillante pis tu veux vraiment sortir avec un gars, me semble, des pas vites, c’est pas ça qui manque. D’ailleurs, je suis très content de voir que plusieurs femmes dans la salle n’ont pas attendu mes recommandations pour des sélections… appropriées.

En 80, y a un Américain qui a créé la banque de sperme des prix Nobel. Son idée c’était bien sûr de faire du cash mais aussi de rendre la population super brillante par l’insémination artificielle. C’était un peu bizarre leur affaire. Les ovules, transmission de l’intelligence par la mère. ça avait pas l’air dans l’équation tant que ça . Pis admettons que toute la population serait devenue constituée de génies, qui aurait tondu le gazon? Je plaisante. Moi-même, j’ai presque 100 de q.i., pis long pas long je tonds mon gazon à tous les jours. J’aime ça quand je peux me peigner en me regardant dedans.

Sauf que ça a pas fonctionné. Les Prix Nobel étaient réticents à fournir la ressource, à part un Nobel de physique qui pensait que les Blancs sont une race supérieure. Je sais pas pas c’était quoi l’affaire. Si j’étais un prix Nobel moi, je serais pas mesquin sur le sperme. Combien en voulez? Portion individuelle ou format familial?

Grâce à l’argent de la taxe sur les jeux éducatifs, on va reprendre leur idée mais genre Banque de sperme et ovules anti-Nobel. La crème des nonos. Avec des tests de sélection rigoureux. Si t’es capable d’attacher tes lacets, garde ton sperme pis tes ovules pis va lire Le Devoir.

L’imbécilité comme projet de société est d’autant plus primordiale que l’intelligence artificielle a fait un bond fulgurant en avant ces dernières années. Sur le coup, je pensais que c’était un kangourou!

Avec l’évolution, tout va être connecté. Quelqu’un en Chine va pouvoir regarder les images des caméras de surveillance du service à l’auto du McDonalds de Cowansville. « Regarde! C’est Laure Waridel et Ian Gordon dans un SUV! Ils prennent chacun 4 Bigs Macs! Avec un milkshake aux fraises! »

Google va mettre des cookies dans notre cerveau, on aura plus faim au repas.

On va avoir un correcteur automatique intégré qui va corriger tout ce qu’on va vouloir dire : Va te faire encu...rcubitacée Tab… Tabouret … Mon amour, tu voudrais que je te fasse un cun...niculture.

Mais arrivé à un certain stade, l’intelligence artificielle va évoluer de manière autonome.

J’espère qu’ils vont trouver une fonction aux 25 touches qui servent à rien sur mon clavier d’ordi.

Les robots vont avoir besoin de pièces pour se réparer. Y a un robot qui va te scanner Wow! 2 microgrammes de zinc, manganèse, fer. Il va procéder à l’extraction. Pas agréable.

Étape suivante : les robots vont arriver à la conclusion que l’humanité est néfaste pour l’environnement et vont trouver un plan pour nous éliminer. Ils vont mettre des écrans partout. On sera plus capable de se concentrer pendant plus qu’une minute. Les seuls chirurgiens qui vont être capables de terminer une opération, c’est ceux qui vont avoir un trouble obsessionnel compulsif. La docteure va être en train de t’enlever une tumeur sur une rein pis elle va avoir une alerte TikTok. Elle va passer son scalpel à l’infirmier qui lui va regarder des vidéos de minous sur Youtube. Tu vas mourir. Un pilote d’avion, 500 passagers, au-dessus du Pacifique. Oh. Quelqu’un regarde son profil sur un site de rencontres. La catastrophe. Ça pourrait être la fin de l’humanité. Notre seul espoir est la chaise de recherche sur l’imbécilité naturelle.



mercredi 30 août 2023

Bouchon 1

  JOUR 1, vendredi

- Qu'est-ce qui vole dans l'eau?

- Oh, elle est difficile celle-là.

- Essaie au moins une réponse.

- Un homme-grenouille kleptomane?

Sarah et Morgan jouent aux devinettes depuis près de deux heures, chacune dans sa voiture. Elles se devancent l’une l’autre, se rattrapent, ça leur laisse le temps de penser. Mais là, c’est figé depuis 60 minutes.

Un bouchon.

Sur l'autoroute 10 en direction de Sherbrooke, une file de huit kilomètres de véhicules gît coincée et immobile sous l'implacable soleil de juillet, 32° celsius, sept millions de kilos de métal, de caoutchouc, de simili-cuir et de chair offerts en pâture à la canicule.

Un troupeau hétérogène de quelques 5600 demi-dieux ont été déchus de leur pouvoir de franchir les distances plus vite qu'un oiseau. C'est comme une municipalité qui s'est formée spontanément, un nouveau voisinage, mais sans liens au lieu et à l’Autre, sans mémoire collective, sans élus et sans services. Les taxes, faut voir.

Il y a une heure, les conducteurs étaient à l'affût du moindre centimètre à arracher à l'immobilité, anxieux de retourner à la fluidité et à normalité. Mais le doute et la résignation ont fait leur chemin. Le repas ou le repos, la baise, l'argent, le dénouement ou la socialisation devront attendre. Certains regrettent l'heure de leur départ ou l'itinéraire choisi; d'autres, plus sages, supputent comment amortir les inconvénients de la situation ou même en tirer partie.

Omar a peur de s'endormir, la circulation pourrait reprendre, que ferait-il. Géraldine se dit qu'elle aimerait bien aller uriner dans le boisé mais la circulation pourrait reprendre, que ferait-elle. Daphné invective mentalement son ex, qui l'oblige à aller porter leur fille à Sainte-Catherine-de-Hatley. Richard va chercher son Xanax dans le coffre de la Hyundai, tu devrais pas prendre ça en conduisant dit sa sœur, je conduis pas tu vois bien, c'est pas prudent tu sais ce que je veux dire rétorque-t-elle. Gate et Jim regardent la fumée s'élever dans les airs au son de CHOM FM.

Exténuée, Christine Champigny vient de terminer deux quarts de travail d’affilée à l’hôpital de Granby et retourne chez elle dans une Kia noire, justement achetée à Granby, qui occupe le troisième échelon des villes québécoises possédant le plus grand ratio de concessionnaires automobiles par habitant.

À bord d'une Mazda dont le bleu s'efface sous la rouille, Ulysse et Mathieu, le premier 21 ans, l'autre 23, sont en route pour le palais de justice de Waterloo.

Volvo XC40 2020 rouge: Maurice Levasseur se dirige vers Orford faire visiter une « sublime demeure de rêve » à une cliente potentielle.

Patrick Darrah et Samuel Lessard, électriciens, fourgonnette Ford blanche. Objectif? Roxton Pond, mais ils ont pris une mauvaise sortie.

Zhang Bolin pilote un SUV Maserati Levante vers un chic quartier de Sherbrooke. Il va conclure une transaction pour une application servant à calculer le temps de garde partagée entre parents séparés. Il regrette de ne pas avoir apporté d'eau.

La famille Girard, Jean, Tania, Eugénie et Benoît-Alexandre, se rend aux funérailles du père de Jean à Mansonville.

Modito Toumani livre des meubles au magasin Habitat de Magog.

Un grand sec poivre et sel déambule le long de la route, un livre à la main, et dépasse la Maserati, ce qui assèche un peu plus le gosier de Zhang sans qu'il en prenne conscience.

Veronika et Lester vont rejoindre leur amant à Sutton. Camry 2014 brun Naples; derrière eux, un minibus à la climatisation défaillante transporte une dizaine d'immigrants africains vers l’abattoir de Sherbrooke où ils sont affectés pour les trois prochaines semaines.

Francine s’en va aussi à Sherbrooke, mais dans un contexte différent (quoi que) : elle a demandé l’aide médicale à mourir et elle doit être hospitalisée aujourd’hui-même pour le début du processus.

Daniel Ours Bleu Duval, un faux Innu de Laval, a été invité à parler de spiritualité autochtone dans une chambre de suée de Saint-Étienne-de-Bolton. Chevrolet Equinox 2018.

***



L'incendie d'une tour de 10 étages heureusement inhabitée sur l’embranchement de la bretelle sud de l'autoroute menant à Foster n'est peut-être qu'une cause secondaire du bouchon malgré ce que croient intervenants et passants.

Propriété de Gestion Ubik, la tour, baptisée le Havre cantonal, proposait des « condos, spacieux, écoresponsables et ultramodernes, avec une vue extraordinaire sur le lac Foster ».

La vue était d'autant plus extraordinaire que l'entrepreneur avait déraciné près de deux dizaines d'ostryers de Virginie centenaires qui l'obstruaient, au grand dam d'un groupe de citoyens. Pour faire taire ces véhéments, Gestion Ubik avait promis de replanter plus loin quelques spécimens de la même espèce. Il s'était finalement rabattu sur des vinaigriers, moins onéreux. Le temps qu'ils poussent et que la différence soit perceptible, les protestataires auront oublié.

L'incendie s'est déclaré un peu avant l'aube du vendredi, une semaine avant que les propriétaires de condos ne puissent officiellement en prendre possession. Maintenant, toute la vanité du lieu s’est évanouie. Noircies, sinistrées, les ouvertures des fenêtres sont comme des orbites aveugles, l’édifice s’est voûté et dénudé, des pans entiers des balcons sont tombés sur l’autoroute et la bretelle de sortie. Sous le regard des badauds et la lentille des amateurs d'égoportraits, les pompiers s'affairent à maîtriser les flammes toujours actives et l'épaisse fumée toxique.

Gate et Jim observent leur œuvre plus longtemps qu’ils ne l’auraient voulu. Ça fait trois heures qu’ils sont là. Au départ, retourner sur les lieux de l'incendie et jouir du spectacle en toute impunité les excitait mais c'est moins rassurant d'être coincés si près.

Gate – Gaétan, de son vrai nom -reste décontracté. Maintenant que CHOM s'est mis à grincher, le quinquagénaire tourne le bouton de la radio pour syntoniser un autre poste en ajustant sa perruque. Il tombe sur du Willy Lamothe à Radio Brome, Mille après mille.

- Cherche un poste de nouvelles, dit Jim, ils vont parler du feu.

Le grand chauve baraqué lui répond quelques chose en russe, une langue que Jim ne comprend pas. Il ignore même que c'est du russe.

Jim est plus anxieux que Gate. Il n'y a aucune preuve contre eux mais s'il doit retourner en prison, il va vraiment devenir fou.

L'Inuit de Dunkin serre dans ses mains le volant du Ford, porte un regard autour de lui. Sur sa droite, des petits malins ont tenté de se faufiler et forment maintenant une troisième ligne. À sa gauche, sur la 10 ouest, la circulation est fluide.

- Si on allait se mêler à la foule, suggère Gate?


***

- Isaac, T'es rendu où? Rappelle-moi.

Paul Thibodeau remet son téléphone dans sa poche, inquiet. Il n'a pas eu de nouvelles d'Isaac Haman depuis trois heures. À l'épicerie, les commandes se sont accumulées; normalement, Isaac devrait déjà avoir terminé ses livraisons. Paul sent confusément que quelque chose se passe.

Isaac fixe son téléphone, tripote sa barbiche. Il devrait répondre. Il devrait rappeler l’assistant-gérant du IJA, toujours gentil avec lui. Le jeune homme de Dunham a été condamné à 140 heures de travaux communautaires pour vandalisme. Comme ses œuvres précédentes, intempestives aux yeux du tout-venant, son graffiti Don't fear the reaper sur la façade du Complexe funéraire Adamsville a été modérément apprécié. Il s'en est quand même bien tiré: passer ses 140 heures de travaux compensatoires à livrer des commandes pour le IJA, dans une fourgeonnette flambant neuve local, avec son stéréo et frigidaire à alimentation électrique autonome, est un moindre mal.

Mais ce Vendredi, Isaac a eu envie d'aller voir sa blonde, Maude à Sherbrooke pour fêter leur six mois ensemble. Il voulait lui faire une surprise. Surprise, le voilà coincé à quelques 65 kilomètres d'elle avec une trentaine de sacs d'épicerie et aucune explication plausible à fournir à ses patrons.

Doit-il rappeler l’assistant-gérant? Avouer? Difficile de réfléchir correctement avec le bambin qui vocifère dans les bras de son père dans la Nissan Leaf et la musique tonitruante qui s'échappe de la décapotable à leur côté. Isaac fouille dans les sacs à l'arrière de sa fourgonnette jusqu'à ce qu'il déniche la commande de Mme Heller avec de la crème glacée au butterscotch. Il grappille la boîte de cornets dans l'autre sac et en remplit un avec la cuillère de son canif.

Le bambin cesse de brailler et ses yeux s'agrandissent lorsqu'il voit l'homme au cornet se diriger vers lui. Mais c'est au conducteur de la Mercedes qu'Isaac tend la crème glacée.

- Combien?, demande René Pacotille, baissant légèrement la musique?

- C'est gratuit, mais changez de musique s'il-vous-plaît, vous voyez bien que le petit aime pas ça.

Pacotille, homme d’affaires, animateur de radio, prend le cornet en souriant à Isaac et remonte le volume. L'enfant recommence à crier.

***

mardi 25 décembre 2018

Jésus reloaded


«Tu sais, expliquait Jean, c’est comme le roman et le Nouveau roman. Y a eu l’ancien Testament, nous ça serait le Nouveau Testament. Ça serait expérimental. Luc, Pierre, Mathieu et moi on écrirait chacun ta bio mais avec des différences. On pourrait vendre les droits dérivés. » Jésus était sceptique. Si ça marchait, ça serait un miracle.

mercredi 1 novembre 2017

Granozilla contre Zombhillbillies

Dans l’épisode précédent, intitulé La malédiction des hommes-lasagnes, un dentiste hipster échappait un poil de barbe radioactif dans le plombage d’une cliente, qui se mettait à capter des épisodes non encore tournés de District 31

Le nouvel épisode s’intitule Granozilla contre Zombhillbillies.

Un soir d’octobre, un couple innocent de Blainville fait du vélo sur Ie Chemin Aldebrooke avec Ieur enfant de 8 ans, Frédéric-François
Soudain, Frédéric-François a une crise identitaire terrifiante: il se demande si son moi profond est déterminé par son milieu social ou son hérédité. Mais il ne peut pas savoir parce qu’il a été élevé par ses propres géniteurs.
Il décide donc de se faire adopter pour être en mesure de différencier l’inné de l’acquis. Et il va demander une subvention au Conseil des Arts du Canada pour diffuser son adoption en streaming sur Internet, épousant ainsi la vision de Mélanie Joly pour les industries créatives dans un monde numérique.
Profitant donc que ses parent discutent du pourcentage de gras de leur barre tendre au quinoa, Frédéric- François court vers une maison et y entre sans frapper.
Voix
-Oh the nice little boy!
Cri d’horreur! Les parents de Frédéric-François ne le reverront jamais et adopteront un teckel à poil court pour le remplacer, prenant des cours d’aquarelle la fin de semaine.
Frédéric-François vient de tomber dans les griffes de Betty Farmer, une zombhillillies descendante des Loyalistes. Ses ancêtres ont quitté les États-Unis parce qu’ils voulaient continuer à abuser de leurs esclaves et les obliger à travailler pendant qu’eux jouaient du banjo. Depuis, ils se reproduisent de père en fils. Plus consanguin que ça, tu te clones. Ils votent pour le parti Conservateur même quand aucun candidat ne se présente. Ils ignorent que le Haut et le Bas Canada ont été fusionnés.
Le années passent. Frédéric-François a 13 ans. Ses parents l’appellent Fred. Il va chercher son courrier en skidou même l’été, même si sa boîte à malle est à 5 mètres de la maison. Il mange des pogos pour déjeuner. L’été au Lac Brome, il pêche à la dynamite.
Un premier juillet, c’est la Fête du Canada. Fred est complètement assoiffé et n’a plus de bière dans son skidoo. En désespoir de cause, il s’arrête à la source d’eau potable de Sutton, pas loin de la Légion. Il se remplit d’eau une vieille canette de Budweiser pleine de mégots….
Cri d’horreur
Et tombe sans connaissance.
Un groupe de féministes a empoisonné la source d’eau potable de Sutton avec du komboucha. Quand Fred se réveille, il ne se souvient plus ni de l’acquis ni de l’inné. Comme d’autres hommes innocents, il est maintenant prisonnier du groupe les Mères de l’Enfer, qui veulent prendre le pouvoir dans Brome Missisquoi. Des combats sanglants les opposent aux zombhillbillies. Heureusement, elles jouissent de l’appui d’un groupe de motards végétaliens, les Grano-Davidson.
Fred a été rebaptisé Fleur de défécation par les Mères de l’Enfer. Elles le maintiennent dans un état de servitude holistique en trempant son pogo dans de la verveine tous les matins.
La semaine, non seulement on le force à travailler dans une ferme biologique mais… on l’oblige à manger des légumes. Pis lui, le biologique, il digère pas, y a été élevé à manger des aliments certifiés non biologiques. Pis les affaires équitables, c’est encore pire, ça lui irrite le colon pis ça lui donne la diarrhée.
La fin de semaine, Fleur de Défécation est obligé de danser dans une coopérative de gogo-boys multigénérationnelle sur de la musique bizarre.
Les années passent, les Féministes continuent à ravager la région. Elles posent des dos d’âne partout, jusque sur la 10, elle sabotent l’économie.
Parfois, les Zombhillbillies remportent des victoires. Ils réussissent à sculpter l’effigie du Colonel Sanders dans le Round Top. Ils limitent le droit de vote à ceux qui sont consanguins depuis au moins 5 générations.
Un soir sous l’effet de la verveine, Fleur de Défécation est accroché à son poteau sur le stage, tout nu, en train de danser sur un enregistrement de vagues de l’Océan Pacifique, au coucher du soleil du Solstice d’été. Quand les cochonneries en plastique viennent s’échouer sur la plage, Fleur donne un p’tit coup de bassin, le public entre en extase.
- Frédéric-François!!!!
Tout d’un coup, y a un cri dans la salle. La mère de Frédéric-François était venue à Sutton pour prendre un atelier sur la résolution de conflit par la peinture de gazon à l’aquarelle. Elle vient de reconnaître son fils parce qu’il avait une marque de naissance en forme de bungalow sur la fesse gauche. Elle se précipite sur le stage pour serrer son fils dans ses bras.
- Fred!
Tout d’un coup, un autre cri retentit dans la salle. Betty Farmer, déguisée en chevreuil, était venue voir le show. Elle adore la danse. Elle n’a pas vu Fred, son fils adoptif, depuis 10 ans, mais elle le reconnaît parce qu’elle lui avait tatouer le logo des Townshippers sur son inconscient collectif.
Elle se précipite sur le stage pour serrer son fils dans ses bras.
Mais la chef des Féministes, Mom Boucher, intervient pour sauver son gagne-pain. Sur le stage, les 3 femmes tirent chacune de leur bord Frédéric-François Fred Fleur de Défécation. Ses deux bras et ses testicules sont arrachés. Il meurt dans d’atroces souffrances, alors que ses hurlements couvrent le bruit des vagues du Pacifique pendant que le soleil se couche sur Hawaï.
Le pauvre martyr de la guerre entre Granozila et Zombhillbillies ne saura jamais si son moi profond était déterminé par l’acquis ou l’inné.
Ses morceaux sont enterrés dans trois cimetières différents. À la pleine lune parfois, la terre remue sous les pierres tombales. Les morceaux du sortent du sol et rampent l’un vers l’autre. Ils cherchent à se reconnecter. Malheur à qui se trouve entre eux.