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À Hay River, ça et là, des bateaux dorment dans la pelouse, se souvenant d'un temps plus dynamique. |
lundi 31 mars 2014
Passe de saison
La
grosse veine palpite de plus en plus vite, les respirations se font plus
espacées et profondes : Sandy retire juste à temps de sa bouche la bite du
skieur et lui enfonce deux doigts dans le cul. C’est ce qu’elle appelle son
spécial full-pipe free style,
très apprécié des aficionados du remonte-pente.Le
skieur rââââle et éjacule dans les cheveux de Sandy, dans la belle teinture
mauve et blanche qu’elle s’est fait faire la semaine passée, pour ressembler à
sa chanteuse préférée. Il remonte ses pantalons de ski Rossignol, paie, et
retourne dans le bar.Devant
le miroir, une Sandy bourrée s’essuie distraitement les cheveux avec des
serviettes. Face à son impuissance à évacuer quelques îlots de sperme
récalcitrants, elle choisit une solution simple : elle sort sa tuque de la
poche de son manteau de cuir et s’en coiffe. Ça éponge. Sandy est plutôt du
genre fashion victim : la
tuque –en laine, lignes vertes et noires, c’est pas pour la chaleur mais pour
le look grunge. Et elle a été tricotée par Lorna, la personne qu’elle a le plus
aimée dans sa famille, dont il reste aujourd’hui si peu. Lorna, c’était sa
grand-mère maternelle, qui l’a élevée entre sept et neuf ans. Les meilleures années de sa vie, des
vrais repas tous les jours, des jeux dans le bois, de petits travaux sur la
vieille ferme et, surtout, la présence forte et tellement réconfortante de sa
grand-mère.
Cette
période heureuse a commencé avec le départ de Kathleen, la mère de Sandy, s’est
terminée avec son retour. Pas qu’elle soit méchante, la génitrice, mais elle
est teeeeeeellement conne, elle traîne avec elle un vacuum d’emmerdements, elle
démontre des aptitudes inouïes pour se mettre dans le pétrin… et y entraîner
les autres. Kathleen avait un talent exceptionnel pour créer des bijoux. Le
plus grand bijoutier de Montréal, pourtant si imbu de son statut, la recevait
sans rendez-vous. Elle a donc placé Sandy chez sa grand-mère et s’est installée
à Montréal. Ça y était, elle avait réussi à s’évader de son bled paumé peuplé
d’agriculteurs en faillite, et de lumpen-Hillbillies sans avenir et même sans
présent, un univers obsolète en voie de disparaître sous le rouleau compresseur
de la gentrification et de la retraite des baby-boomers.Mais
non, l’auto-sabotage avait a prévalu. Kathleen avait rapidement rencontré un
crétin inféodé à la Scientologie. Un super beau mec, Sandy avait vu les photos,
mais un crétin quand même. Alors pendant huit mois, Kathleen avait arpenté les
rues, sollicitant les quidams pour qu’ils passent le fameux test de Ron L.
Hubbard, 120 questions, mille misères. Tout l’argent des bijoux servait
dorénavant à éclaircir le mental réactif de Sandy et du crétin. Puis, fric ou
non, le ministre de terrain scientologue en était arrivé à la conclusion que
les engrammes de Kathleen étaient un peu trop saturés de tétrahydrocannabinol
et l’avait bannie de l’Église de Scientologie. Bannie de la Scientologie, la
honte, aussi humiliant que d’arriver second dans un cent mètres pour
catatoniques. Et le crétin avait fait son choix : Ron L. Kathleen était
retournée dans les Cantons, avait repris Sandy et s’était trouvé un boulot dans
un salon de coiffure.Sandy
partira aussi, mais ne reviendra pas, sinon pour y avoir un chalet en haut de
la côte, comme les gens beaux et fortunés. Pour l’instant, elle retourne au bar
où l’attend Tamara, sa petite camarade de travail. Son air guilleret de légume
hydroponique prend sa source dans une longue succession de shooters. Deux
margeritas plus tard, le sperme a séché dans la crinière de Sandy. En enlevant
sa tuque pour s’éponger le front, elle s’arrache involontairement quelques
cheveux. Son pimp
n’aimerait pas cette négligence. Le gars, Brad, est le directeur du marketing
de la station de ski et il a des idées bien arrêtées sur ce que c’est qu’avoir
de la classe. On se demanderait d’ailleurs ce qu’il fait avec Sandy, une prolo
mal dégrossie, si ce n’était de sa jeunesse et de son corps de rêve qui, c’est
à craindre, faneront rapidement. C’est bien connu, la fonction détruit
l’organe.
Justement,
les filles s’en vont le rejoindre dans la maison mobile qu’elles partagent dans
le parc près de la sortie de l’autoroute. Le gars n’a pas besoin de cacher sa
flamboyante Audi rouge puisqu’il est aussi gérant du parc. Son père était un
modeste employé de la station de ski, un homme sans envergure avec qui Brad a
d’ailleurs rapidement coupé les ponts. Lui, il a le sens des affaires. À 27 ans
seulement, il cumule divers postes de prestige et le meilleur est à venir. Être
pimp, c’est la cerise
sur le sundae. Ça lui permet de juxtaposer ses fantasmes personnels à sa montée
dans les échelons du pouvoir. Voilà deux ans qu’il offre Tamara et Sandy à ses
clients VIP. L’hiver dernier, il a même fait ouvrir le remonte-pente de nuit
pour un sous-ministre de l’environnement qui se faisait tirer l’oreille pour
autoriser l’ouverture de nouvelles pistes sur le flanc est du massif, en raison
de la présence d’espèces en péril. Des salamandres, du ginseng… hostie de moron. Dans son télésiège à 200 mètre au-dessus
du sol, sous les étoiles, avec Tamara et Sandy pour le réchauffer, le
sous-ministre a fait un grand
écart dialectique.Ce
tour de force a valu à Brad, de la part de ses patrons, de chaudes
félicitations et quelques actions supplémentaires dans la compagnie. D’autres
clients vinrent plus tard, demandant ce qui était désormais devenu une
spécialité érotico-montagnarde de la station de ski. Ces réclamations prouvaient la convivialité du dialogue
entre le sous-ministre et le patronat. Depuis, Brad a multiplié les opérations
avec son duo Ski & Sex, parfois augmenté de Sun (de son vrai nom
Claudette). Les plus riches des clients sont autorisés à faire du hors piste
avec elles, moyennant une rétribution plus
substantielle.
Brad
inspecte la propreté du divan, en évacue quelques menues miettes de chips, un
vieux kleenex fripé, et s’assoit entre Tamara et Sandy.-
Bonne soirée
les filles?
-
Y te
reste-tu de la coke?
-
Combien vous
avez fait?
-
700$ à
trois. Envoie donc...
-
Honnête.
Modeste mais honnête. Mais là, mes
chéries, vous allez passer à la vitesse supérieure. La classe supérieure, je
devrais dire. Vous êtes attendues
au chalet des Grenier. Des grosses pointures. Aux alentours de 70 ans, mais ils
en veulent encore. Alors, soyez chouette, laissez-vous câliner, faites leur des
compliments gros comme le bras sur leur virilité pis revenez avec un gros
pourboire. Ok?
-
Juste une
once, t’sais? Pas plus?
Brad
se barre sur un soupir. Il sait tout de même que, malgré l’apparent trait plat
caractérisant l’activité cérébrale de son cheptel, il sera obéi à la lettre.
Même qu’il s’en taperait bien une avant de partir, mais des obligations
corporatives l’appellent ailleurs.Le
chalet des Grenier est situé sur la terre ancestrale de la mère de Lorna, celle
où elle a passé une partie de son enfance. La terre a été dans la famille
pendant cinq générations. Kathleen en avait hérité mais John, le père de Sandy,
l’a vendue à l’époque du second référendum. Fuck the separatists qu’il a dit, et il est parti en Ontario,
abandonnant Kathleen et leur fils. Entre la crise d’Octobre et le dernier
référendum, les deux tiers des Anglos ont quitté les Cantons. Il ne reste plus
aujourd’hui surtout que le white trash, ceux et celles qui n’avaient pas l’argent ou l’opportunité
de dégager, les travailleurs saisonniers, les ex-détenus, les hommes à tout
faire, les femmes de ménages, les horticultrices, les préposées aux
bénéficiaires… et les bénéficiaires des préposés.
John
a vendu la terre pour une bouchée de pain à un contracteur, qui l’a divisée en
six lots, où ont été construits autant de somptueux chalets au pied des pistes
de ski, vue imprenable. L’un d’entre eux est devenu la résidence secondaire du
chirurgien Grenier. Mais la plupart du temps, il est à Outremont alors le
chalet est vide, comme 40% des habitations de la municipalité.Les
filles étaient tellement frappées qu’on se demande comment elles ont pu se
rendre chez Grenier, dans la noirceur et la neige qui tombait dru. Sandy frappe
à la porte du « chalet » -château- conviendrait mieux, Tamara sur ses
talons. Un majordome massif et velu les reçoit et les débarrasse de leur
manteau. Malgré son insistance, Sandy garde sa tuque.Tamara
et Sandy sont conduites à travers une série de pièces pour aboutir dans un
grand salon où les portes se referment derrière elles. Quatre personnes les y
attendent, en sous-vêtements. Le chirurgien Grenier lui-même, Bianca Larue,
présidente de la Chambre de Commerce, John J. Hudon, président d’une chaîne de
magasins d’alimentations naturelles, et Philippe Fondor, de Total Contact (la
tour pour les cellulaires sur le mont Ouellet, c’est lui). 68, 72 ans, mais
resplendissants de santé que c’en est indécent. Le dos droit, encore musclés,
le sourire carnassier. À la moitié de leur âge, Tamara et Sandy auront l’air
plus abîmées qu’eux.Tout
demeure, au début, dans les limites. Les filles ont vu pire. Mais
progressivement, la violence fait son nid. Sans que les Sandy et Tamara ne s’en
soient rendu compte, Grenier, Hudon, Larue et Fondor sont gainés de cuir,
équipés de martinets et de divers instruments, complètements pétés.
L’intolérable est atteint, même à travers leur nuage, les filles se rendent
bien compte qu’elles ne pourront jamais raisonner les vieux. Tamara fait signe
à Sandy, et elle s’empare d’un Romanée-Conti qu’elle fracasse sur la tempe de
Larue. Les filles retraversent à
la course la série de pièces, dévalent les escaliers et se retrouvent pieds nus dans la neige,
dans l’air froid qui mord.Sans
pantalons donc sans clés, leur voiture leur est interdite. Elles se précipitent
dans la piste de ski no 4 (Émotion) et y déboulent vers le bas, leurs cuisses
râpées par la surface verglacée. Elles entendent la meute de chiens japper
quand elles obliquent sur la no 3B (Armageddon). Leurs mains et leurs pieds
sont déjà partiellement engourdis. C’est là que les filles se séparent. Tamara
croit qu’en descendant la 3B, elle pourra atteindre le chalet de son oncle et
s’y réfugier. Sandy n’en peut plus. Elle s’enfonce dans un boisé entre deux
pistes et se recroqueville sur le sol. L’hypothermie la gagne, elle s’apaise,
et soudain, toute cette effroyable misère lui semble bien étrangère. La tuque
bien enfoncée sur ses oreilles, Sandy pense à sa grand-mère et se dit que c’est
bien de pouvoir la retrouver.La
mort de Sandy figurera en bas de la page trois du quotidien local. Les
châtelains ne seront jamais inquiétés. Deux d’entre eux seront éventuellement
photographiés dans le même quotidien, remettant des dons à une fondation pour
la lutte contre la toxicomanie chez les adolescents. Quelques
semaines plus tard, dans une chambre d’hôtel, pour se consoler, Brad se fait
faire une gâterie par Tamara. En souvenir de Sandy, celle-ci lui fait un full-pipe
free style, à la
différence qu’au moment où il jouit, elle lui enfonce un canon de revolver dans
le fondement. Elle tire en murmurant : « Le prolétariat
vaincra. »
dimanche 30 mars 2014
Terreur à Sutton
Le
jour de l’ouverture du nouveau supermarché, tout alla bien. Les clients
étaient ravis de trouver autant de produits à d’aussi bons prix, vendus
par des gens gentils. Les propriétaires firent des beaux profits.
Mais
le lendemain matin, une foule de clients mécontents rapportèrent leurs
achats. Certains se plaignaient que la crème glacée goûtait le détergent
à vaisselle, d’autres que le filet de bœuf enlevait les taches les plus
récalcitrantes.
Le
gérant de la place fit venir un grand nombre de spécialistes pour
régler le problème : des inspecteurs du ministère de l’Agriculture,
Pêcheries et Alimentation du Québec (MAPAQ), des urbanistes, des
actuaires, et même un exorciste.
Mais
c’est un archéologue qui trouva la source du problème. Grâce au journal
d’un prêtre jésuite venu évangéliser la Nouvelle-France voilà plus de 2
siècles, il découvrit que l’épicerie était construite par-dessus le
caveau funéraire d’un shaman abénaki.
Truite
Abstraite fut le sorcier d’une tribu dont le territoire s’étendait
jadis de East Farnham jusqu’à Saint-Armand –mais sans Pigeon Hill,
terrain neutre que les Amérindiens auraient alors appelé la Suisse, si
tant est qu’ils eussent pu connaître ce pays, un des seuls d’Europe qui
ne les envahit point. Les Amérindiens de toutes les tribus allaient
jouer au bridge à Pigeon Hill sans crainte de se faire fendre le crâne
par un tomahawk pour avoir triché.
Truite
Abstraite était un shaman renommé bien au-delà de son territoire car sa
maladresse était vaste qu’un stationnement de supermarché. Il reçut
d’office le poste de son prédécesseur, Mouche Virile, qui reconnut en
lui, dès son plus jeune âge, les signes distinctifs d’un homme de magie :
un nez aux courbures bizarres, totalement illégales en regard des
règlements trigonométriques de la Confédération des géomètres
algonquiens (CGE), une manière de danser le hip-hop à contretemps sur
des valses de Strauss et un don indubitable pour différencier un saumon
faisandé d’un faisan saumoné.
Truite
Abstraite était aimé de sa communauté car il se laissait marcher sur
les pieds sans faire de commentaires, sinon en les lavant.
Malheureusement, il contrôlait mal ses pouvoirs, particulièrement
lorsqu’il avait le hoquet. C’est ainsi qu’un jour, il stérilisa toutes
les bougabouches à crête flasque de la rivière Yamaska sud-est alors
qu’il voulait simplement s’enlever une écharde. C’est pourquoi
aujourd’hui on ne retrouve plus aucune bougabouche dans les Cantons. Une
autre fois, Truite Abstraite donna des dimensions gigantesques à une
cyanobactérie qui lui avait demandé du feu. On l’appela désormais
Memphré.
Truite
Abstraite était tout de même un être logique : lorsqu’il mourut il
décéda simultanément et même trépassa un peu. Tristes mais soulagés, ses
congénères l’enterrèrent dans le caveau familial, près de la piste
cyclable. Mais ils oublièrent, lors de la cérémonie, de chanter le
traditionnel Gens du pays, d’où la sourde colère de Truite Abstraite, même dans l’au-delà.
Des
siècles plus tard, grâce à l’archéologue, on répara cette erreur avec
30 choristes, une section de cuivres et une guitare électrique, parce
que j’aime bien la guitare électrique.Truite Abstraite repose désormais
en paix et à l’épicerie, le tofu est vraiment frais.
Nanook l'Esquimau
samedi 29 mars 2014
Les derniers pêcheurs
Maxence
Northern Roots
Lone
vendredi 28 mars 2014
jeudi 27 mars 2014
mercredi 26 mars 2014
Les nouveaux territoires de la privatisation
L’autre jour, j’ai été me promener sur la cime du Mont
Pinacle, pas l’autre, celui à Frelighsburg. Je sais pas pour l’autre, mais le
celui de Freligh, c’est interdit d’y aller. Il y a quelques années, un
promoteur voulait transformer la montagne en centre de ski. Le projet a divisé
les villageois. Puis tout d’un coup, le mec de Softimage, Daniel Langlois, a
acheté le terrain et hop, plus de centre de ski. Pas de promenades non plus,
d’ailleurs.
La beauté du panorama s’alliant à la transgression de
l’interdit, c’était vraiment génial d’être là. Même si Daniel Langlois semble
quelqu’un de bien, je trouve que privatiser les montagnes, c’est comme
privatiser les lacs, c’est dur pour les prolétaires. Je me suis dit, en
boutade, qu’on privatiserait bientôt l’air. En y pensant bien, je mettrais pas ma bite au
feu que ça arrivera pas. Bell ou GM ou je sais pas qui nous posera des filtres
informatisés sur la tronche et quand on paiera pas notre compte, ils rendront
le filtre inopérant. Soit on s’étouffera, soit on se mettra de la merde à plein
tube dans les poumons.
En y réfléchissant bien, en anticipant le potentiel de développement du phénomène de la privatisation, on peut prévoir qu’un jour, quelqu’un pourrait tout aussi bien privatiser des mots. Ça serait plus payant qu'au Scrabble!
Disons que Proctor & Gamble achète les droits sur "le". À toutes les fois que quelqu’un prononce ce mot, il doit verser .0005 sous à P&C. Mine de rien, ils font une fortune! Ils investissent alors une partie de leurs bénéfices pour acheter le copyright sur d'autres mots. Ils pourraient même envisager d’acheter des noms d’individus! Un ami me dit d’ailleurs que "Albert Einstein" est une marque de commerce appartenant à l'Université hébraïque de Jérusalem. Comme disait l’autre, un nom propre ne le reste jamais très longtemps.Il y a des mots qui sont très jolis mais dont l’usage est peu courant, au parler comme à l’écrit. On pourrait donc présumer que les droits d'utilisation de "le" se chiffreraient à .001 sous US, tandis que "rogomme", "susurration" ou "esquicher" vaudraient 10 sous. Bref, pour le commerce, il y a beaucoup plus d’avenir avec les articles (contractés ou non), avec les mots vulgaires qu’avec les raretés. Je sais pas comment on dit "Tabernacle" en mandarin ou en cantonnais mais le zig qui met un copyright sur ça, il peut crisser sa poche de riz dans le Yang-Tsé, jeter le caviar par ses fenêtres de vélo, il ne sera jamais pauvre!
Les compagnies en viendront logiquement à privatiser des constructions de phrase. Quebecor ayant un copyright sur « beau », Imperial Tobacco sur tous les temps du verbe « falloir », les deux compagnies opéreront une conne vergence pour « Il fait beau. » Des tonnes de mongols, n’ayant d’autres sujets de conversation que la température, vont y goûter.D’une manière ou d’une autre, il faudra penser à se prémunir contre le piratage du verbe. La nature humaine étant ce qu’elle est, il faut prévoir que d’astucieux délinquants sémantiques, ne respectant pas la propriété privée, utiliseront des enregistrements pour s'exprimer. Il y a de l’avenir pour les juristes!
Quel sera l’impact de la privatisation du verbe sur les citoyens doués du sens du langage mais désargentés? Dans un premier temps, il faut prévoir l’emploi d'une surabondance de synonymes, suivi de l'avènement d'une multitude de néologismes et de métaphores… Tout ça mélangé avec un langage télégraphique, histoire d’éviter les adverbes et les articles coûteux. Pourquoi dire des phrases à 5 piasses comme « Ma (Rogers Communications©) mère (Simpson Sears ©) souffre (Beyers®) du (Proctor and Gamble®) cancer (Genax ™) » quand on peut la remplacer par « Génitrice (Larousse©) trépassant (Dofasco®), qui coûterait aussi peu que 1.39$? Pour économiser encore davantage, les initiés au nouveau « freelangue » (mots libres de droits) n’auront qu’à prononcer « Bobrona Passéout », et ils comprendront très bien que la source femelle d’un rejeton de leur association vient de cracher son bulletin de naissance.
Mais il est
évident que les protagonistes du marché langagier en viendront aussi à
privatiser les néologismes. Réponse des logo-prolétaires : le langage par
signes. Déterminés à protéger leurs avoirs, les hommes d’affaires sauront
s’adjoindre les autorités juridiques compétentes pour régulariser la situation.
Ainsi, un pauvre type qui, à cause du Parkinson, tremblait du coude gauche sans
savoir que cela signifiait « je le prends sans sucre, merci »,
pourrait se retrouver ruiné jusqu'à la huitième génération.Ultérieurement,
les onomatopées seront également retirées du domaine public. On poursuivra le
vent qui fuit, les robinets qui grincent, etc.Pour finir, le
silence sera privatisé. Désespérés devant leur impuissance à s’exprimer, les
pauvres en seront réduits à se flinguer, sans même le recours d'un silencieux.C’est pourquoi il
est de toute première urgence que le gouvernement Couillard devance le phénomène
en nationalisant le langage. Mais on pourrait craindre que Logo-Québec, après
avoir installé des barrages sur le flot intarissable de certains verbomoteurs,
permette la création de syntaxeurs privés…
En y réfléchissant bien, en anticipant le potentiel de développement du phénomène de la privatisation, on peut prévoir qu’un jour, quelqu’un pourrait tout aussi bien privatiser des mots. Ça serait plus payant qu'au Scrabble!
Disons que Proctor & Gamble achète les droits sur "le". À toutes les fois que quelqu’un prononce ce mot, il doit verser .0005 sous à P&C. Mine de rien, ils font une fortune! Ils investissent alors une partie de leurs bénéfices pour acheter le copyright sur d'autres mots. Ils pourraient même envisager d’acheter des noms d’individus! Un ami me dit d’ailleurs que "Albert Einstein" est une marque de commerce appartenant à l'Université hébraïque de Jérusalem. Comme disait l’autre, un nom propre ne le reste jamais très longtemps.Il y a des mots qui sont très jolis mais dont l’usage est peu courant, au parler comme à l’écrit. On pourrait donc présumer que les droits d'utilisation de "le" se chiffreraient à .001 sous US, tandis que "rogomme", "susurration" ou "esquicher" vaudraient 10 sous. Bref, pour le commerce, il y a beaucoup plus d’avenir avec les articles (contractés ou non), avec les mots vulgaires qu’avec les raretés. Je sais pas comment on dit "Tabernacle" en mandarin ou en cantonnais mais le zig qui met un copyright sur ça, il peut crisser sa poche de riz dans le Yang-Tsé, jeter le caviar par ses fenêtres de vélo, il ne sera jamais pauvre!
Les compagnies en viendront logiquement à privatiser des constructions de phrase. Quebecor ayant un copyright sur « beau », Imperial Tobacco sur tous les temps du verbe « falloir », les deux compagnies opéreront une conne vergence pour « Il fait beau. » Des tonnes de mongols, n’ayant d’autres sujets de conversation que la température, vont y goûter.D’une manière ou d’une autre, il faudra penser à se prémunir contre le piratage du verbe. La nature humaine étant ce qu’elle est, il faut prévoir que d’astucieux délinquants sémantiques, ne respectant pas la propriété privée, utiliseront des enregistrements pour s'exprimer. Il y a de l’avenir pour les juristes!
Quel sera l’impact de la privatisation du verbe sur les citoyens doués du sens du langage mais désargentés? Dans un premier temps, il faut prévoir l’emploi d'une surabondance de synonymes, suivi de l'avènement d'une multitude de néologismes et de métaphores… Tout ça mélangé avec un langage télégraphique, histoire d’éviter les adverbes et les articles coûteux. Pourquoi dire des phrases à 5 piasses comme « Ma (Rogers Communications©) mère (Simpson Sears ©) souffre (Beyers®) du (Proctor and Gamble®) cancer (Genax ™) » quand on peut la remplacer par « Génitrice (Larousse©) trépassant (Dofasco®), qui coûterait aussi peu que 1.39$? Pour économiser encore davantage, les initiés au nouveau « freelangue » (mots libres de droits) n’auront qu’à prononcer « Bobrona Passéout », et ils comprendront très bien que la source femelle d’un rejeton de leur association vient de cracher son bulletin de naissance.
mardi 25 mars 2014
Sutton Totem
Sutton Totem
Paroles : Denis Lord
Paroles : Denis Lord
Musique : Simon
Estérez
Au cœur des Appalaches les
montagnes se hachent magnifiques féeriques
Animales, minérales et
botaniques
Lynx coyotes, ours noirs
Dans le dépotoir de nos
nuits noires
Les espèces survivent
convives épars qui laissent des traces
Habitants oubliés de nos
contrées dénaturées par les descendants de Jacques Cartier
Les espèces se tuent
parfois se perpétuent
Dans l’ignorance
l’indolence ou la cruauté des habitants partisans du développement immobilier
Claytonie bléphilie bartonie
de Virginie hémorragie de chlorophylle
tales par tales le végétal
détale des forêts méridionales
Vulnérables menacées ou
disparues élyme velu rubanier branchu
Cardamine
Aubépine stellaire fausse-alsine adieu les copines
Sutton Totem
Sutton t’aime
Dans les rues de Sutton je
bomme et j’me démène
J’ai l’ADN bohème des
énergumènes de l’écosystème
Je suis l’ion de la
population l’associé de la société
Un tissu social composite
hétéroclite un endroit insolite sa communauté m’habite
Sutton Néoruraux homos
francos
Anglos qui achètent des
billets de loto
Accro du bingo toxico du
bio
Du Plateau du Congo ou de
Caniapiscau (Bordeaux!)
Sutton Système
Sutton t’aime
Docteur soudeur plongeur élagueur
Notaire secrétaire postière
ou caissière
Richard Brodeur Cindy
Jolicoeur
Carol Mulcair Samuel
Labossière
Vendeuse, chauffeuse
masseuse ou livreuse
Artiste touriste dentiste
ébéniste
Edmond Deleuze Lili la
traîneuse
Gladys Matisse Ivan
Kasparatis
Sutton Totem
Sutton t’aime
Sutton Système
lundi 24 mars 2014
dimanche 23 mars 2014
La pêche
Souvent
mes amis, surtout à Val-Paradis, me demandent : Denis, pis, la pêche aux
Territoires du Nord-Ouest, c’est comment?
Faut
être honnête, c’est pas le poisson qui manque ici, il y en a presque autant
qu’à l’Aquarium de Québec. Le vendredi de la Thanksgiving à Yellowknife à
l’entrée de l’autoroute 4, il y a un traffic monstrueux de corégones, de
harengs, d’Inconnus, de perchaudes et de truites arc-en-ciel qui partent en
vacances. On se croirait dans une boîte de sardines. En fait, les lacs des TNO,
selon la région, sont composés de 40 à 74% d’urine de poisson.
Devant le bureau de poste, t’as toujours
trois ou quatre touladis qui jouent au parchesi. Souvent, chez le barbier, y a
des barbottes qui papotent en attendant de se faire faire le tour des oreilles.
Mon psychanalyste est un brochet. Bref, il y a beaucoup de poissons ici et ils
sont généralement bien acceptés par la population locale. Mais je trouve quand
même exagérés qu’ils aient droit aux places assises dans les autobus, sans
parler de diverses déductions fiscales un peu tirées par les cheveux.
Alors
la pêche, ça va très bien, et on peut pêcher pas mal n’importe où. Dans la file
d’attente à l’urgence de l’hôpital, y a toujours un ou deux gars avec une scie
mécanique enfoncée dans le thorax qui taquinent la morue. Le bureau de poste,
vers l’heure des Simpson, est également un lieu propice. J’ai même attrapé un
brochet durant une séance de psychanalyse. Les pêcheurs les plus courageux
prennent un bateau et vont pêcher sur le lac, mais ce n’est vraiment pas
nécessaire. En fait, la pêche est tellement facile que les hameçons et les
appâts sont interdits, sinon ça ne serait plus du jeu. Faut quand même aimer la
narine, pour pêcher aux TNO, parce que les poissons d’ici ont des gros nez.
Tous ne les digèrent pas si facilement.
Parmi
les espèces territoriales les plus remarquables, on retrouve la flabouche à
groin isocèle. Il s’agit sans conteste d’un des poissons qui aiment le moins la
pêche au monde, et j’en ai vu plus d’une se défiler des pêcheurs sans éprouver
la moindre perte d’estime de soi. Son tonus narcissique, remarquablement
vigoureux, exige d’ailleurs une cuisson prolongée. Faut-il encore présenter la
perchaude dubitative? Sa perplexité a augmenté de manière draconienne l’acidité
des lacs où elle se meut, jusqu’à les rendre impropres pour d’autres espèces.
Enfin, l’habitat privilégié de la barbue douche-bag est le lac artificiellement
créé par le liquide provenant de la fracturation hydraulique. Et que dire de la
babiloche impromptue, un véritable miracle de la biologie? Cette espèce se
distingue par une glande sudoripare placée à l’extrémité de son sinus. Cette
glande est d’une productivité si phénoménale que la babiloche peut
littéralement nager dans sa propre sueur, faisant ainsi l’économie de l’eau.
C’est pourquoi on retrouve aujourd’hui la babiloche jusque dans les grands
plateaux désertiques des supermarchés et des magasins à rayons; on envisage
même de la classer « espèce envahissante ».
Se relever
Les femmes du Nord
Mes
amis du Québec, à Notre-Dame-du-Rosaire surtout, me demandent souvent :
Denis, comment sont les femmes aux Territoires du Nord-Ouest?
Sur
une île près du 70e parallèle, à l’équinoxe d’automne, un poil sort
d’une caverne à chaque aurore. Si, alors, il sifflote Gens du pays, ça y est. Tous les autres poils
sortent de la caverne et commence la grandiose et tragique migration annuelle
des poils jusqu’à l’embouchure de la rivière Yellowknife. Si un extraterrestre
passait alors dans le ciel, il verrait comme une gigantesque perruque qui
marche. Je ne pense pas qu’il aurait envie de nous envahir.
En
route, durant l’exode, des
millions de poils périront, dévorés par des morses, avalés par des bols
de soupe, emportés par le vent. Ceux qui ont assisté à de telles scènes en
restent durablement meurtris.
Mais
d’aucuns atteindront leur objectif : les femmes des Territoires du
Nord-Ouest, pour les protéger du froid. On dit qu’elle sont les plus poilues du
monde. Vu du ciel, on dirait un gnou, un immense gnou.
Mais
ce titre de pilosité suprême leur est contesté. Chaque printemps, les femmes à
barbe du Yukon, du Nunavut, de l’Alaska et des Territoires du Nord-Ouest se
rendent dans une île secrète de la mer de Beaufort où ont lieu toutes sortes
d’épreuves. Même les gars de ZZ Top ne pourraient pas rentrer là. Il y a du tir
de skidoo avec la barbe, du tir au poignet mais par le poil de nez, de la tire
d’érable mais avec des cheveux, etc. Tout cela est mesuré par un arpenteur
agréé. La région gagnante reçoit une boîte de pops au crabe des neiges.
Puis,
à la fin du printemps, les poils disparaissent aussi mystérieusement qu’ils sont velus. Ils sont retournés se reproduire sur une île près du 70e
parallèle.
Double péril jaune
On a beau prétendre que les races c'est du pareil au même, un
questionnement s'impose. Montréal est une ville plutôt cosmopolite; pourquoi
alors n'y voit-on jamais des nains hassidims ou des Noirs trisomiques? Parce
que les Juifs cachent leurs nains et que les Noirs sont trop pauvres pour être
mongoliens? Ne me faites pas rire!
De la même manière, les femmes d'origine chinoise sont assez bien
représentées parmi la population montréalaise. Il y en a des superbes, il y en
a des laides, des prolétaires ou des intellectuelles, des prépubères et des
post-ménoposées, Mais dans un cas comme dans l'autre, il s'avère rarissime
qu'elles aient de gros seins. Certains croient que, nationalistes ou communistes,
les Chinois les gardent pour eux.
Personnellement toutefois, j'ai eu la chance de rencontrer Song,
une Chinoise née dans une banlieue de Toronto qui, entre autres qualités, était
dotée d'un buste imparable (Song, pas la banlieue). J'en ai beaucoup joui et de
magnifiques souvenirs m'en sont restés même si, maintenant, j'ai peur qu'une
triade revancharde ne cherche à m'occire pour avoir abusé d'un bien national
aussi précieux. Saint-Normand Bethune, protégez-moi!
Je n'ai pourtant jamais fantasmé sur les Asiatiques contrairement
à un grand nombre d'entre vous, les mecs. On sait ce que c'est, pas vrai: des
femmes racées et énigmatiques qu'on imagine soumises, la science orientale de
l'amour, le riz qui ne colle jamais...
Mais Song n'était rien de tout ça. Ni soumise ni énigmatique. Elle
fumait comme un trou (qu'elle avait d'ailleurs fumant), collectionnait les
cuites et pour ce qui est du riz, ne s'en approchait jamais davantage qu'en
s'emparant d'une des bouteilles de saké qui jouxtaient l'ouzo à la SAQ de Queen
Mary. Sinon, oui, elle était chinoise, tout ce que vous pouvez imaginer: menue,
taille étroite, de petites mains aux doigts fins et habiles, de longs cheveux
noirs luisants, un air de jeunesse immanente, des yeux magnifiques qui
reflétaient tout aussi bien la candeur que la cruauté.
Une Chinoise bref, sauf dans l'attitude, et dans cette étonnante
et somptueuse paire de nichons qu'elle portait en devanture, des seins solides,
d'une ultime concrétion, avec des mamelons baveux et frondeurs qui vous regardaient
de haut. Et moi aussi je les prenais de haut, par le haut ou par le bas, ou
encore direct au centre, droit au mamelon. Pour le grand plaisir de Song. Elle
était très sensible de la poitrine, un véritable épicentre orgasmique, et
aimait que je l'appréhende de multiples manières, que je la perçoive sous
toutes ses courbes. Parfois, je faisais presque semblant que ses seins ne
m'intéressaient pas, léger, nomade, un rien machinal. Dans d'autres temps je
les massais longuement, les triturait et les malaxait jusqu'à la colonne, les
léchait et les suçait jusqu'à ce que Song geigne.
Souvent, suivant sa nature impulsive, lorsque nous nous apprêtions
à faire l'amour, Song, d'un geste machinal, dégrafait elle-même son
soutien-gorge avant de le rejeter au loin d'une main indifférente. Non! Non!
Laisse-moi faire! Lèche! Moi faire! Les femmes sont tellement habituées à
porter des seins que malgré tout ce qu'elles peuvent savoir des fantasmes
masculins, elles traitent ce moment de grâce comme si elles partaient leur
machine à laver. Alors que si parfois, ces femmes, on a envie de leur arracher
leurs vêtements et de les mordre (les femmes, pas la banlieue), à d'autres
moments, on préfère prendre l'infini du temps pour admirer le panorama, tâter
le tissu, goûter ses transparences et ses opacités. Ensuite, à l'abordage,
camarade! Bref, on aime bien se réserver le droit d'enlever soi-même ce tissu
de rêves pour se sidérer dans la voie lactée.
Song n'était pas qu'impulsive lorsqu'elle enlevait son
soutien-gorge. Elle avait des jugements brutaux, des désirs urgents, des
colères foudroyantes. Cette femme, elle te propulsait de l'Eden à la Géhenne en
moins de deux pulsations cardiaques. Mon chéri mon hostie, rentre pas après
minuit... Touche-moi pas j'te tue yes, yes, yeahh, yeaaaaaaaahh, keep on
keeponkeeeponkeepon. Une tigresse, quoi que née l'année du cochon, avec un
ascendant Garde Rouge. Fallait constamment être sur les siennes, de gardes, sur
le qui-vive, paré à ce que Woodstock se transforme en Tiananmen, le rave en
cauchemar. Dans le désordre chronologique.
Abstraction faite de nos cinq ruptures, nous avons passé à peu
près une année ensemble, une année très chargée où nous avons beaucoup voyagé.
Quand nous allons voir ma soeur à Québec, prise de bec; nous écoutons des soap
dans un motel du Vermont, Song me passe un savon; en Virginie elle me passe à
tabac; en randonnée pédestre dans les Cantons de l'Est, elle m'admoneste;
escale à Karpa-la-Juive, elle m'invective; en Irlande elle m'enguirlande, en
Hollande me vilipende, bref, en tous lieux et toutes circonstances, elle me
tance.
J'endurais. Après tout, je n'étais pas exempt de culpabilité. Ni
de calculs. Perdre cette Messaline pour un excès d'adrénaline? Deux gros tétons
pour de bon? Eh puis bon, c'était une femme par ailleurs futée, qui savait
aussi se montrer affectueuse et marrante.
Le bouquet, je l'ai cueilli à Paris. Le dernier de nos
renouements, en odeur de dernière chance, avec des fragrances de quitte ou
double. Les plombs ont pété d'aplomb.
Vacances en Europe. Dix jours. Escale chez mon frère en banlieue
de Paris. Nous visitons le Louvres. On aurait pu y passer deux semaines, un an.
Dans une salle, il y avait le "Radeau de la Méduse", célèbre croûte
de l'époque romantique signée Théodore Géricault 1818
- C'est horrible, cette peinture est en train de se détériorer.
Dans trois ans, elle va tomber en morceaux. Il faudrait environ cinq millions
pour la restaurer mais le Musée ne trouve pas l'argent.
Elle avait vraiment l'air désespéré. C'était la première fois que
je l'entendais parler de peinture.
-Bof, anyway, on l'a vu, Le Radeau, il doit être reproduit dans
une centaine de livres de 15 langues différentes, on le trouve sur Internet. Il
va en rester des traces. L'original dans le fond, on s'en tape. Cinq millions
pour le restaurer, calvaire, qu'ils les donnent à de jeunes artistes pauvres.
Je lui balançai une tirade dans le genre, en plus articulé. Elle
me balança une claque sur la gueule, avec ses propres articulations. Song
choquée, moi médusé, pétrifié. J'ignorais qu'elle avait tant à coeur l'oeuvre
de Géricault. Un souvenir d'enfance peut-être. Ses grands-parents devaient être
des boat people ayant franchi le Pacifique à fond de cale, se partageant
quotidiennement à cent une boîte de sardines et buvant leur urine (pas celle
des sardines).
Dans la foulée, elle a continué à m'invectiver, me traitant
d'inculte, d'ignare, d'anar, de barbare, de connard. Se détournant de la
Méduse, quelques touristes japonais se mirent à nous filmer sur leur caméra
vidéo, délaissant les chef d'oeuvre du Louvres pour du live.
-Les Froggies, tout ce qui ne vient pas des États-Unis, ça vous
passe cent pieds par-dessus la tête!
-Voyons Song, j'te visais pas personnellement, c'est juste de la
peintu...
-Gros colon, tu comprends rien! Pour toi, si c'est pas Bruce
Willis, c'est de la pisse!
-Écou...
-Non seulement tu comprends rien à l'art mais en plus tu me fais
honte devant tout le monde! Et vous les Ducon Nippons, occupez-vous de vos
miches!
Song se retourna contre les touristes qui nous filmaient. Elle
saisit le 35 millimètres de celui qui était le plus près de nous, un
quadragénaire bedonnant, le tira par terre. et foutut un coup de pied dedans.
Elle arrachât des mains d'une mignonne punkette un Sony pour l'écraser avec ses
Doc Martens. Les deux autres vidéastes du groupe se replièrent stratégiquement
tout en continuant à filmer.
Forcément, vu la vertigineuse loufoquerie de la scène, l'hilarité
me chatouillait les lèvres. Mais la plus petite dilatation de ma rate prendrait
des dimensions hiroshimesques, je le savais. L'abstention prévalut.
Se montrant les poings, Song et la punkette s'insultaient
rageusement, chacune dans sa langue colorée. Nippon et Cantonais, touts jaunes
unis, ça s'en envoyait des vertes et des pas mûres.
Sortant de l'ascenseur au pas de course, haletants, les gardes de
sécurité arrivèrent juste à temps pour empêcher les belligérantes d'en arriver
aux coups. Les soldats bleus de la culture expédièrent manu militari tout de
qu'il y avait de jaune dans la salle hors du Louvres. Je suivis.
Dans le wagon de métro qui filait vers la Défense, debout, Song,
j'avais l'impression, revisionnait la scène dans sa tête. Je me demandais de
mon côté si j'avais vraiment envie d'acheter un billet pour la sequel. Elle me
jetait parfois des regards de feu, brûlant de reproches, de rancoeur et de
férocité. Je cherchais quoi dire pour améliorer l'atmosphère. Tourner l'affaire
en dérision? La raisonner? Changer de sujet? À peine les phrases se
formaient-elles dans ma tête qu'elles se disloquaient et fondaient aussitôt
devant l'impossibilité de renflouer notre navire.
Au milieu de la foule, obéissant à une impulsion, je l'ai saisie,
retournée dos contre moi, je l'ai embrassée dans le cou, lui tirant les cheveux
d'une main, lui pétrissant les seins de l'autre.
Je suis sorti à la station de métro suivante et je n'ai pas revu
Song, pas même dans l'avion qui devait nous ramener tous deux en Amérique. Sur
le siège qu'elle avait réservé siégeait un infographe français qui venait tenter
carrière au Québec. Il sentait mauvais.
Les 3 M
Je
rêvais de Nord, je rêvais d’eau, les deux rêves se sont télescopés aux
Territoires du Nord-Ouest.
À
Yellowknife, le Capitaine m’a dit : « Il y a trois sortes de
personnes ici : des missionnaires, des mercenaires et des mésadaptés, des
gens qui sont nulle part à leur place. T’es dans quelle catégorie? »
J’avais
envie d’y répondre : Aucune, je suis en train de rêver.
Ben
des Amérindiens font partie des mésadaptés, ici comme ailleurs nulle part à
leur place. Une femme m’a dit : ma grand-mère avait honte d’être
Amérindienne, ma mère avait honte, pis moi aussi. Quand j’étais petite, je me
frottais la peau pour devenir plus pâle. C’était pas cool d’être Amérindienne.
Ça m’a pris du temps à guérir.
Au
centre-ville, les toilettes des restaurants sont tout le temps barrées. Y
ont-tu peur qu’on leur vole leur marde? Ben non, c’est pour pas que les
Amérindiens y dorment. Ou qu’ils s’y lavent, pour essayer de devenir Blancs.
D’ailleurs, c’est au A&W qu’il y a le plus d’Amérindiens, et si tu veux
avoir les clés des toilettes, faut que tu les demandes au plus ÉNORME agent de
sécurité de tout Yellowknife. CQFD : Va te blanchir ailleurs.
C’est
cosmopolite ici, tellement. J’aurais pas pensé. Mais pas le cosmopolitisme
montréalais. En partant, en plus du français et de l’anglais, y a neuf langues
officielles, juste pour les Amérindiens, les Métis et les Inuits, qui sont 52%
de la population. Et y a plein de Philippins et de Chinois, de Somaliens.
Faudra ben qu’un soir un Somalien me raconte la ronne qui l’a mené au 60e
parallèle.
Un
après-midi sur le bord du Frame Lake. La lumière est tellement belle, l’air
scintille, vibre doucement. C’est Folk on the rocks. Un gars joue du piano, à
la Satie. Des enfants de toutes les couleurs dansent ensemble. Games without
frontiers. Je suis tellement heureux que j’ai envie de pleurer. Je me dis que
maintenant, c’est correct, je pourrais mourir. Comblé. Pus de regrets.
Une
telle plénitude. Comme une récompense de la vie pour avoir arrêté de boire,
pour essayer d’être un bon gars. Mais les récompenses, ça existe pas. Des
tonnes de bien meilleures personnes meurent tous les jours sous les
mitraillettes de la connerie. Alors je meurs pas, tu penses. Pas avant d’avoir
serré la main au poisson inconnu (Stenodus leucichthys),
d’avoir revu mes amours.
Après
l’ouvrage quand je rentre chez nous, Saint-Ex et LaFontaine se télescopent. Je
croise souvent des renards, ça ramène invariablement mes pensées à mon tit-gars, on avait bossé ensemble
sur sa présentation orale du Petit Prince. Mais les renards me demandent pas de
quelle planète je viens, ni si on y trouve des poules. Et pis y a les corbeaux,
vraiment énormes, très bigues, que les corneilles ont l’air d’être des colibris
à côté de… Quel chant horrible, la honte de la corporation des oiseaux... jusqu’à
ce que tu découvres de quoi ils sont vraiment capables. Les renards parlent pas non plus aux
corbeaux. Yellowknife, anyway, c’est pas une place de fromages. Par contre, le
brochet est on ne peut plus frais.
Les couleurs de Yellowknife
Il
y avait vraiment, avant, une tribu qu’on appelait les Couteaux Jaunes, ici à
Yellowknife. Ils ont presque été exterminés par les Côtes de chien et depuis,
les survivants se sont plus ou moins assimilés aux Chipewyans. Aujourd’hui
dit-on, un autre groupe Déné a pris leur place et cherche à acquérir
l’appellation Yellow Knives.
Avec
Debbie vendredi, on a mélangé les traditions culinaires, on a créé un plat
indien, doublement indien, le curry de caribou aux navets, désormais appelé le
curybou. Ah la cardamome, verte ou noire, hum, Dieu tenait décidément la forme
quand elle l’a inventée. Elle était vachement inspirée, plus que le jour des
caries en tout cas.
Debbie
est une américaine été élevée à Yellowknife il y a 40 ans. «Il y a avait un
seule famille noire à l’époque, se souvient-elle, celle de Monsieur Green On
trouvait ça drôle.» Aujourd’hui, Yellowknife est d’un cosmopolitisme
impressionnant, dans la lignée finalement de ces grosses villes de l’Ouest
comme Winnipeg ou Calgary. Nous sommes plus au Nord et c’est tout. On dit qu’il
y a à Yellowknife des gens nés dans 108 pays.
Shirley
est directrice générale d’une compagnie de taxi. Les dernières années, elle a
eu des chauffeurs de Somalie, Liban, Pakistan, Iran, Hongrie, Grèce, Serbie,
Croatie, Zimbabwé, Égypte, Érythrée, Corée, Vietnam… Elle a eu des Indiens,
mais pas d’Amérindiens. On dirait que c’est pas une job qu’ils font ici, comme
agent de sécurité d’ailleurs. Mais il y a une Inuite qui est répartitrice.
Toute petite, elle doit mesurer cinq pieds et deux, et elle a eu sept enfants
avec un Somalien, qui sont souvent des grands jacks secs. J’aimerais bien voir
leurs enfants! Somalinuitiens?
Plusieurs
de leurs enfants ont été élevés dans la culture et la foi de leur père.
« Moi j’ai perdu ma culture, qu’elle m’a dit la petite madame. Ma mère a
été dans les pensionnats et elle a désappris sa langue, alors elle a pas pus me
l’apprendre. Au moins, quelques-uns de nos enfants auront la culture d’un de
leurs parents.» Le gars a amené trois de ses enfants en Somalie l’an dernier.
Du sub-arctique au semi-désertique, du Grand Lac des Esclaves aux déserts de
sel, d’une économie à l’autre, méchant choc. Quoique, la plupart des
Amérindiens que j’ai rencontrés sont plutôt tiers-mondistes, même s’il doit
bien en avoir dans la classe moyenne amérindienne et élevée. La récurrence de
disparitions et de meurtres de femmes autochtones signifient bien leur statut.
Depuis
que je suis ici, j’ai croisé quelques couples hétérogènes. Ce sont toujours des
Blancs qui sont avec des femmes de couleurs, jamais le contraire. Ça a
peut-être à voir avec la survie, l’idée d’un pourvoyeur mieux adapté à la
société nord-américaine.
Pas
de grandes démonstrations à faire avec ce texte.
Juste
dire bonjour, esquisser les mouvements de culture, leurs mélanges. Dans ce
dernier cas, je souhaite juste qu’on en garde le meilleur de deux. Comme le
curybou, les franges à la Daniel Boone sur la kippah, le shamanisme Gwich’in/ serbe
et le country croate.
Une visite à Yellowknife
Yellowknife
est une ville d’une taille agréable, je dirais. Elle est à la fois juste assez
grande pour qu’on s’y perde, mais juste assez petite pour que ce soit toujours
aux mêmes places. En fait, ça ressemblerait à Brossard si Brossard était sur le
bord d’un lac, ou encore à Coteau-sur-le-lac si on remplaçait le Coteau par
Brossard. En tout cas, il y a un lac.
La
population est très cosmopolite. Il y a des Canadiens-Anglais de la
Nouvelle-Écosse, du Manitoba et de la Saskatchewan, des Ontariens et des
Albertains. Il y a même un Québécois, mais seulement un jour par semaine, quand
il vient voir son agent de probation. Avant de partir, ma sœur m’avait bien
averti : « Fais attention, y a plein de Red Necks là-bas. » Oui,
c’est vrai, ils sont durs, mais équitables. S’ils te pètent le bras droit, aie pas peur, ils vont te
péter le bras gauche aussi. Sous leurs apparences frustres, ce sont des gens
qui ont l’intuition de la symétrie. Et s’ils t’obligent à payer les plumes, le
goudron est toujours sur leur bras. Ça fait plaisir de rencontrer du monde qui
ont le cœur sur la main et l’autre main dans ta face. Au mois de septembre, il
y aura le premier défilé gay de l’histoire de Yellowknife, sur la rue
Principale. L’excitation est à son comble : y a plus une barre à clou
disponible dans les magasins de la région depuis 2 semaines
Du
côté de la nature, la biodiversité est au rendez-vous : on a des mines de
diamant, d’or, de manganèse et de tungstène, Cette année, nous avons eu un été
formidable, chaud et long : 1er jour, éclosion des moustiques;
2e jour, les moustiques nous mangent; 3e jour, les frappe
à bord mangent les moustiques comme entrée et nous comme plat principal.
J’ai
vraiment hâte de commencer à mon nouvel emploi. L’Aquilon a augmenté son tirage dernièrement, nous en
sommes à 42 exemplaires par semaine. Un de nos nouveaux abonnés est le Père
Gontrand Numélou, un capucin d’obédience caquo-maoïste. Il est le premier homme à avoir
traversé le Grand Lac des Esclaves à bord d’un sous-marin mu par une éolienne.
Il a consacré un ouvrage en huit tomes à l’entrevue d’un brochet de 116 ans,
qui a longtemps accompagné Klaus Schulsze aux castagnettes, et a tricoté les
premières chenilles de bulldozer en poil de nez d’outarde. Nous sommes fiers
d’avoir le Père Numélou parmi nos abonnés.
Les
Québécois -les Français du Plateau, particulièrement-, présument que les
Canadiens se nourrissent mal. Rien n’est plus faux. Nous avons à Yellowknife le
meilleur Cheez-Whiz au monde. Il n’y a rien qui rapproche davantage de Dieu que
de manger du Cheez-Whiz sous les aurores boréales, au doux ronronnement des
VTT.
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