dimanche 23 mars 2014

La pêche


Souvent mes amis, surtout à Val-Paradis, me demandent : Denis, pis, la pêche aux Territoires du Nord-Ouest, c’est comment?
Faut être honnête, c’est pas le poisson qui manque ici, il y en a presque autant qu’à l’Aquarium de Québec. Le vendredi de la Thanksgiving à Yellowknife à l’entrée de l’autoroute 4, il y a un traffic monstrueux de corégones, de harengs, d’Inconnus, de perchaudes et de truites arc-en-ciel qui partent en vacances. On se croirait dans une boîte de sardines. En fait, les lacs des TNO, selon la région, sont composés de 40 à 74% d’urine de poisson.
 Devant le bureau de poste, t’as toujours trois ou quatre touladis qui jouent au parchesi. Souvent, chez le barbier, y a des barbottes qui papotent en attendant de se faire faire le tour des oreilles. Mon psychanalyste est un brochet. Bref, il y a beaucoup de poissons ici et ils sont généralement bien acceptés par la population locale. Mais je trouve quand même exagérés qu’ils aient droit aux places assises dans les autobus, sans parler de diverses déductions fiscales un peu tirées par les cheveux.
Alors la pêche, ça va très bien, et on peut pêcher pas mal n’importe où. Dans la file d’attente à l’urgence de l’hôpital, y a toujours un ou deux gars avec une scie mécanique enfoncée dans le thorax qui taquinent la morue. Le bureau de poste, vers l’heure des Simpson, est également un lieu propice. J’ai même attrapé un brochet durant une séance de psychanalyse. Les pêcheurs les plus courageux prennent un bateau et vont pêcher sur le lac, mais ce n’est vraiment pas nécessaire. En fait, la pêche est tellement facile que les hameçons et les appâts sont interdits, sinon ça ne serait plus du jeu. Faut quand même aimer la narine, pour pêcher aux TNO, parce que les poissons d’ici ont des gros nez. Tous ne les digèrent pas si facilement.
Parmi les espèces territoriales les plus remarquables, on retrouve la flabouche à groin isocèle. Il s’agit sans conteste d’un des poissons qui aiment le moins la pêche au monde, et j’en ai vu plus d’une se défiler des pêcheurs sans éprouver la moindre perte d’estime de soi. Son tonus narcissique, remarquablement vigoureux, exige d’ailleurs une cuisson prolongée. Faut-il encore présenter la perchaude dubitative? Sa perplexité a augmenté de manière draconienne l’acidité des lacs où elle se meut, jusqu’à les rendre impropres pour d’autres espèces. Enfin, l’habitat privilégié de la barbue douche-bag est le lac artificiellement créé par le liquide provenant de la fracturation hydraulique. Et que dire de la babiloche impromptue, un véritable miracle de la biologie? Cette espèce se distingue par une glande sudoripare placée à l’extrémité de son sinus. Cette glande est d’une productivité si phénoménale que la babiloche peut littéralement nager dans sa propre sueur, faisant ainsi l’économie de l’eau. C’est pourquoi on retrouve aujourd’hui la babiloche jusque dans les grands plateaux désertiques des supermarchés et des magasins à rayons; on envisage même de la classer « espèce envahissante ».


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