lundi 31 mars 2014

En rade

À Hay River, ça et là, des bateaux dorment dans la pelouse, se souvenant d'un temps plus dynamique.

Passe de saison

La grosse veine palpite de plus en plus vite, les respirations se font plus espacées et profondes : Sandy retire juste à temps de sa bouche la bite du skieur et lui enfonce deux doigts dans le cul. C’est ce qu’elle appelle son spécial full-pipe free style, très apprécié des aficionados du remonte-pente.Le skieur rââââle et éjacule dans les cheveux de Sandy, dans la belle teinture mauve et blanche qu’elle s’est fait faire la semaine passée, pour ressembler à sa chanteuse préférée. Il remonte ses pantalons de ski Rossignol, paie, et retourne dans le bar.Devant le miroir, une Sandy bourrée s’essuie distraitement les cheveux avec des serviettes. Face à son impuissance à évacuer quelques îlots de sperme récalcitrants, elle choisit une solution simple : elle sort sa tuque de la poche de son manteau de cuir et s’en coiffe. Ça éponge. Sandy est plutôt du genre fashion victim : la tuque –en laine, lignes vertes et noires, c’est pas pour la chaleur mais pour le look grunge. Et elle a été tricotée par Lorna, la personne qu’elle a le plus aimée dans sa famille, dont il reste aujourd’hui si peu. Lorna, c’était sa grand-mère maternelle, qui l’a élevée entre sept et neuf ans.  Les meilleures années de sa vie, des vrais repas tous les jours, des jeux dans le bois, de petits travaux sur la vieille ferme et, surtout, la présence forte et tellement réconfortante de sa grand-mère.
Cette période heureuse a commencé avec le départ de Kathleen, la mère de Sandy, s’est terminée avec son retour. Pas qu’elle soit méchante, la génitrice, mais elle est teeeeeeellement conne, elle traîne avec elle un vacuum d’emmerdements, elle démontre des aptitudes inouïes pour se mettre dans le pétrin… et y entraîner les autres. Kathleen avait un talent exceptionnel pour créer des bijoux. Le plus grand bijoutier de Montréal, pourtant si imbu de son statut, la recevait sans rendez-vous. Elle a donc placé Sandy chez sa grand-mère et s’est installée à Montréal. Ça y était, elle avait réussi à s’évader de son bled paumé peuplé d’agriculteurs en faillite, et de lumpen-Hillbillies sans avenir et même sans présent, un univers obsolète en voie de disparaître sous le rouleau compresseur de la gentrification et de la retraite des baby-boomers.Mais non, l’auto-sabotage avait a prévalu. Kathleen avait rapidement rencontré un crétin inféodé à la Scientologie. Un super beau mec, Sandy avait vu les photos, mais un crétin quand même. Alors pendant huit mois, Kathleen avait arpenté les rues, sollicitant les quidams pour qu’ils passent le fameux test de Ron L. Hubbard, 120 questions, mille misères. Tout l’argent des bijoux servait dorénavant à éclaircir le mental réactif de Sandy et du crétin. Puis, fric ou non, le ministre de terrain scientologue en était arrivé à la conclusion que les engrammes de Kathleen étaient un peu trop saturés de tétrahydrocannabinol et l’avait bannie de l’Église de Scientologie. Bannie de la Scientologie, la honte, aussi humiliant que d’arriver second dans un cent mètres pour catatoniques. Et le crétin avait fait son choix :  Ron L. Kathleen était retournée dans les Cantons, avait repris Sandy et s’était trouvé un boulot dans un salon de coiffure.Sandy partira aussi, mais ne reviendra pas, sinon pour y avoir un chalet en haut de la côte, comme les gens beaux et fortunés. Pour l’instant, elle retourne au bar où l’attend Tamara, sa petite camarade de travail. Son air guilleret de légume hydroponique prend sa source dans une longue succession de shooters. Deux margeritas plus tard, le sperme a séché dans la crinière de Sandy. En enlevant sa tuque pour s’éponger le front, elle s’arrache involontairement quelques cheveux. Son pimp n’aimerait pas cette négligence. Le gars, Brad, est le directeur du marketing de la station de ski et il a des idées bien arrêtées sur ce que c’est qu’avoir de la classe. On se demanderait d’ailleurs ce qu’il fait avec Sandy, une prolo mal dégrossie, si ce n’était de sa jeunesse et de son corps de rêve qui, c’est à craindre, faneront rapidement. C’est bien connu, la fonction détruit l’organe.
Justement, les filles s’en vont le rejoindre dans la maison mobile qu’elles partagent dans le parc près de la sortie de l’autoroute. Le gars n’a pas besoin de cacher sa flamboyante Audi rouge puisqu’il est aussi gérant du parc. Son père était un modeste employé de la station de ski, un homme sans envergure avec qui Brad a d’ailleurs rapidement coupé les ponts. Lui, il a le sens des affaires. À 27 ans seulement, il cumule divers postes de prestige et le meilleur est à venir. Être pimp, c’est la cerise sur le sundae. Ça lui permet de juxtaposer ses fantasmes personnels à sa montée dans les échelons du pouvoir. Voilà deux ans qu’il offre Tamara et Sandy à ses clients VIP. L’hiver dernier, il a même fait ouvrir le remonte-pente de nuit pour un sous-ministre de l’environnement qui se faisait tirer l’oreille pour autoriser l’ouverture de nouvelles pistes sur le flanc est du massif, en raison de la présence d’espèces en péril. Des salamandres, du ginseng… hostie de moron. Dans son télésiège à 200 mètre au-dessus du sol, sous les étoiles, avec Tamara et Sandy pour le réchauffer, le sous-ministre a fait un  grand écart dialectique.Ce tour de force a valu à Brad, de la part de ses patrons, de chaudes félicitations et quelques actions supplémentaires dans la compagnie. D’autres clients vinrent plus tard, demandant ce qui était désormais devenu une spécialité érotico-montagnarde de la station de ski. Ces réclamations  prouvaient la convivialité du dialogue entre le sous-ministre et le patronat. Depuis, Brad a multiplié les opérations avec son duo Ski & Sex, parfois augmenté de Sun (de son vrai nom Claudette). Les plus riches des clients sont autorisés à faire du hors piste avec elles,  moyennant une rétribution plus substantielle.
Brad inspecte la propreté du divan, en évacue quelques menues miettes de chips, un vieux kleenex fripé, et s’assoit entre Tamara et Sandy.-       Bonne soirée les filles?
-       Y te reste-tu de la coke?
-       Combien vous avez fait?
-       700$ à trois. Envoie donc...
-       Honnête. Modeste mais honnête.  Mais là, mes chéries, vous allez passer à la vitesse supérieure. La classe supérieure, je devrais dire.  Vous êtes attendues au chalet des Grenier. Des grosses pointures. Aux alentours de 70 ans, mais ils en veulent encore. Alors, soyez chouette, laissez-vous câliner, faites leur des compliments gros comme le bras sur leur virilité pis revenez avec un gros pourboire. Ok?
-       Juste une once, t’sais? Pas plus?
Brad se barre sur un soupir. Il sait tout de même que, malgré l’apparent trait plat caractérisant l’activité cérébrale de son cheptel, il sera obéi à la lettre. Même qu’il s’en taperait bien une avant de partir, mais des obligations corporatives l’appellent ailleurs.Le chalet des Grenier est situé sur la terre ancestrale de la mère de Lorna, celle où elle a passé une partie de son enfance. La terre a été dans la famille pendant cinq générations. Kathleen en avait hérité mais John, le père de Sandy, l’a vendue à l’époque du second référendum. Fuck the separatists qu’il a dit, et il est parti en Ontario, abandonnant Kathleen et leur fils. Entre la crise d’Octobre et le dernier référendum, les deux tiers des Anglos ont quitté les Cantons. Il ne reste plus aujourd’hui surtout que le white trash, ceux et celles qui n’avaient pas l’argent ou l’opportunité de dégager, les travailleurs saisonniers, les ex-détenus, les hommes à tout faire, les femmes de ménages, les horticultrices, les préposées aux bénéficiaires… et les bénéficiaires des préposés.
John a vendu la terre pour une bouchée de pain à un contracteur, qui l’a divisée en six lots, où ont été construits autant de somptueux chalets au pied des pistes de ski, vue imprenable. L’un d’entre eux est devenu la résidence secondaire du chirurgien Grenier. Mais la plupart du temps, il est à Outremont alors le chalet est vide, comme 40% des habitations de la municipalité.Les filles étaient tellement frappées qu’on se demande comment elles ont pu se rendre chez Grenier, dans la noirceur et la neige qui tombait dru. Sandy frappe à la porte du « chalet » -château- conviendrait mieux, Tamara sur ses talons. Un majordome massif et velu les reçoit et les débarrasse de leur manteau. Malgré son insistance, Sandy garde sa tuque.Tamara et Sandy sont conduites à travers une série de pièces pour aboutir dans un grand salon où les portes se referment derrière elles. Quatre personnes les y attendent, en sous-vêtements. Le chirurgien Grenier lui-même, Bianca Larue, présidente de la Chambre de Commerce, John J. Hudon, président d’une chaîne de magasins d’alimentations naturelles, et Philippe Fondor, de Total Contact (la tour pour les cellulaires sur le mont Ouellet, c’est lui). 68, 72 ans, mais resplendissants de santé que c’en est indécent. Le dos droit, encore musclés, le sourire carnassier. À la moitié de leur âge, Tamara et Sandy auront l’air plus abîmées qu’eux.Tout demeure, au début, dans les limites. Les filles ont vu pire. Mais progressivement, la violence fait son nid. Sans que les Sandy et Tamara ne s’en soient rendu compte, Grenier, Hudon, Larue et Fondor sont gainés de cuir, équipés de martinets et de divers instruments, complètements pétés. L’intolérable est atteint, même à travers leur nuage, les filles se rendent bien compte qu’elles ne pourront jamais raisonner les vieux. Tamara fait signe à Sandy, et elle s’empare d’un Romanée-Conti qu’elle fracasse sur la tempe de Larue.  Les filles retraversent à la course la série de pièces, dévalent les escaliers et  se retrouvent pieds nus dans la neige, dans l’air froid qui mord.Sans pantalons donc sans clés, leur voiture leur est interdite. Elles se précipitent dans la piste de ski no 4 (Émotion) et y déboulent vers le bas, leurs cuisses râpées par la surface verglacée. Elles entendent la meute de chiens japper quand elles obliquent sur la no 3B (Armageddon). Leurs mains et leurs pieds sont déjà partiellement engourdis. C’est là que les filles se séparent. Tamara croit qu’en descendant la 3B, elle pourra atteindre le chalet de son oncle et s’y réfugier. Sandy n’en peut plus. Elle s’enfonce dans un boisé entre deux pistes et se recroqueville sur le sol. L’hypothermie la gagne, elle s’apaise, et soudain, toute cette effroyable misère lui semble bien étrangère. La tuque bien enfoncée sur ses oreilles, Sandy pense à sa grand-mère et se dit que c’est bien de pouvoir la retrouver.La mort de Sandy figurera en bas de la page trois du quotidien local. Les châtelains ne seront jamais inquiétés. Deux d’entre eux seront éventuellement photographiés dans le même quotidien, remettant des dons à une fondation pour la lutte contre la toxicomanie chez les adolescents. Quelques semaines plus tard, dans une chambre d’hôtel, pour se consoler, Brad se fait faire une gâterie par Tamara. En souvenir de Sandy, celle-ci lui fait un full-pipe free style
, à la différence qu’au moment où il jouit, elle lui enfonce un canon de revolver dans le fondement. Elle tire en murmurant : « Le prolétariat vaincra. »


dimanche 30 mars 2014

Terreur à Sutton

Le jour de l’ouverture du nouveau supermarché, tout alla bien. Les clients étaient ravis de trouver autant de produits à d’aussi bons prix, vendus par des gens gentils. Les propriétaires firent des beaux profits.
Mais le lendemain matin, une foule de clients mécontents rapportèrent leurs achats. Certains se plaignaient que la crème glacée goûtait le détergent à vaisselle, d’autres que le filet de bœuf enlevait les taches les plus récalcitrantes.
Le gérant de la place fit venir un grand nombre de spécialistes pour régler le problème : des inspecteurs du ministère de l’Agriculture, Pêcheries et Alimentation du Québec (MAPAQ), des urbanistes, des actuaires, et même un exorciste.
Mais c’est un archéologue qui trouva la source du problème. Grâce au journal d’un prêtre jésuite venu évangéliser la Nouvelle-France voilà plus de 2 siècles, il découvrit que l’épicerie était construite par-dessus le caveau funéraire d’un shaman abénaki.
Truite Abstraite fut le sorcier d’une tribu dont le territoire s’étendait jadis de East Farnham jusqu’à Saint-Armand –mais sans Pigeon Hill, terrain neutre que les Amérindiens auraient alors appelé la Suisse, si tant est qu’ils eussent pu connaître ce pays, un des seuls d’Europe qui ne les envahit point. Les Amérindiens de toutes les tribus allaient jouer au bridge à Pigeon Hill sans crainte de se faire fendre le crâne par un tomahawk pour avoir triché.
Truite Abstraite était un shaman renommé bien au-delà de son territoire car sa maladresse était vaste qu’un stationnement de supermarché. Il reçut d’office le poste de son prédécesseur, Mouche Virile, qui reconnut en lui, dès son plus jeune âge, les signes distinctifs d’un homme de magie : un nez aux courbures bizarres, totalement illégales en regard des règlements trigonométriques de la Confédération des géomètres algonquiens (CGE), une manière de danser le hip-hop à contretemps sur des valses de Strauss et un don indubitable pour différencier un saumon faisandé d’un faisan saumoné.
Truite Abstraite était aimé de sa communauté car il se laissait marcher sur les pieds sans faire de commentaires, sinon en les lavant. Malheureusement, il contrôlait mal ses pouvoirs, particulièrement lorsqu’il avait le hoquet. C’est ainsi qu’un jour, il stérilisa toutes les bougabouches à crête flasque de la rivière Yamaska sud-est alors qu’il voulait simplement s’enlever une écharde. C’est pourquoi aujourd’hui on ne retrouve plus aucune bougabouche dans les Cantons. Une autre fois, Truite Abstraite donna des dimensions gigantesques à une cyanobactérie qui lui avait demandé du feu. On l’appela désormais Memphré.
Truite Abstraite était tout de même un être logique : lorsqu’il mourut il décéda simultanément et même trépassa un peu. Tristes mais soulagés, ses congénères l’enterrèrent dans le caveau familial, près de la piste cyclable. Mais ils oublièrent, lors de la cérémonie, de chanter le traditionnel Gens du pays, d’où la sourde colère de Truite Abstraite, même dans l’au-delà.
Des siècles plus tard, grâce à l’archéologue, on répara cette erreur avec 30 choristes, une section de cuivres et une guitare électrique, parce que j’aime bien la guitare électrique.Truite Abstraite repose désormais en paix et à l’épicerie, le tofu est vraiment frais.

Nanook l'Esquimau

En septembre 2013, le NACC recevait Tanya Tagaq (photo), Jesse Zubot et Jean Martin. Ils improvisaient en partie une bande sonore pour le film de Robert Flaherty Nanook l'Esquimau. Une structure musicale avaient préalablement été mise en place par Tagaq et le compositeur Derek Charke.

samedi 29 mars 2014

Medecine Hat

Nabi Bersche et Elliott Gwynne, du groupe Medecine Hat, à Folks on the rock, juillet 2013

Top modèle


Behchoko en août


Les derniers pêcheurs

Shawn Buckley appartient à une famille de Hay River qui pêche dans le Grand Lac des Esclaves depuis plusieurs générations. Il a formé Stéphanie Vaillancourt. La pêche a beaucoup diminué ces dernières années dans le Grand Lac des Esclaves. Le gouvernement territorial veut favoriser son essor.

Maxence

L'ancien directeur de Radio Taïga, Maxence Jaillet, et sa tellement craquante petite fille. Il faut bien l'avouer, ça a été un certain deuil pour la gent féminine quand Maxence a quitté pour la Nouvelle-Zélande.

Danse à Folks on the rock 2013


Northern Roots

Lone Sorensen, de Northern Roots, impliquée dans différents organismes des TNO liés à la sécurité alimentaire et à l'agriculture biologique. Jamais vu quelqu'un manifester autant de joie à la vue d'un légume...

Lone

Lone Sorensen, une agricultrice biologique de Yellowknife. Elle reçoit des Woofers et donne des ateliers d'agriculture dans les écoles, les communautés autochtones et dans un centre de détention pour délinquants juvéniles.

mercredi 26 mars 2014

Les nouveaux territoires de la privatisation

L’autre jour, j’ai été me promener sur la cime du Mont Pinacle, pas l’autre, celui à Frelighsburg. Je sais pas pour l’autre, mais le celui de Freligh, c’est interdit d’y aller. Il y a quelques années, un promoteur voulait transformer la montagne en centre de ski. Le projet a divisé les villageois. Puis tout d’un coup, le mec de Softimage, Daniel Langlois, a acheté le terrain et hop, plus de centre de ski. Pas de promenades non plus, d’ailleurs.
La beauté du panorama s’alliant à la transgression de l’interdit, c’était vraiment génial d’être là. Même si Daniel Langlois semble quelqu’un de bien, je trouve que privatiser les montagnes, c’est comme privatiser les lacs, c’est dur pour les prolétaires. Je me suis dit, en boutade, qu’on privatiserait bientôt l’air. En y pensant bien, je mettrais pas ma bite au feu que ça arrivera pas. Bell ou GM ou je sais pas qui nous posera des filtres informatisés sur la tronche et quand on paiera pas notre compte, ils rendront le filtre inopérant. Soit on s’étouffera, soit on se mettra de la merde à plein tube dans les poumons.
En y réfléchissant bien, en anticipant le potentiel de développement du phénomène de la privatisation, on peut prévoir qu’un jour, quelqu’un pourrait tout aussi bien privatiser des mots. Ça serait plus payant qu'au Scrabble! 
Disons que Proctor & Gamble achète les droits sur "le". À toutes les fois que quelqu’un prononce ce mot, il doit verser .0005 sous à P&C. Mine de rien, ils font une fortune! Ils investissent alors une partie de leurs bénéfices pour acheter le copyright sur d'autres mots. Ils pourraient même envisager d’acheter des noms d’individus! Un ami me dit d’ailleurs que "Albert Einstein" est une marque de commerce appartenant à l'Université hébraïque de Jérusalem. Comme disait l’autre, un nom propre ne le reste jamais très longtemps.Il y a des mots qui sont très jolis mais dont l’usage est peu courant, au parler comme à l’écrit. On pourrait donc présumer que les droits d'utilisation de "le" se chiffreraient à .001 sous US, tandis que "rogomme", "susurration" ou "esquicher" vaudraient 10 sous. Bref, pour le commerce, il y a beaucoup plus d’avenir avec les articles (contractés ou non), avec les mots vulgaires qu’avec les raretés. Je sais pas comment on dit "Tabernacle" en mandarin ou en cantonnais mais le zig qui met un copyright sur ça, il peut crisser sa poche de riz dans le Yang-Tsé, jeter le caviar par ses fenêtres de vélo, il ne sera jamais pauvre!
Les compagnies en viendront logiquement à privatiser des constructions de phrase. Quebecor ayant un copyright sur « beau », Imperial Tobacco sur tous les temps du verbe « falloir », les deux compagnies opéreront une conne vergence pour « Il fait beau. » Des tonnes de mongols, n’ayant d’autres sujets de conversation que la température, vont y goûter.D’une manière ou d’une autre, il faudra penser à se prémunir contre le piratage du verbe. La nature humaine étant ce qu’elle est, il faut prévoir que d’astucieux délinquants sémantiques, ne respectant pas la propriété privée, utiliseront des enregistrements pour s'exprimer. Il y a de l’avenir pour les juristes!
Quel sera l’impact de la privatisation du verbe sur les citoyens doués du sens du langage mais désargentés? Dans un premier temps, il faut prévoir l’emploi d'une surabondance de synonymes, suivi de l'avènement d'une multitude de néologismes et de métaphores… Tout ça mélangé avec un langage télégraphique, histoire d’éviter les adverbes et les articles coûteux. Pourquoi dire des phrases à 5 piasses comme « Ma (Rogers Communications©) mère (Simpson Sears ©) souffre (Beyers®) du (Proctor and Gamble®) cancer (Genax ™) » quand on peut la remplacer par « Génitrice (Larousse©) trépassant (Dofasco®), qui coûterait aussi peu que 1.39$? Pour économiser encore davantage, les initiés au nouveau « freelangue » (mots libres de droits) n’auront qu’à prononcer « Bobrona Passéout », et ils comprendront très bien que la source femelle d’un rejeton de leur association vient de cracher son bulletin de naissance.
Mais il est évident que les protagonistes du marché langagier en viendront aussi à privatiser les néologismes. Réponse des logo-prolétaires : le langage par signes. Déterminés à protéger leurs avoirs, les hommes d’affaires sauront s’adjoindre les autorités juridiques compétentes pour régulariser la situation. Ainsi, un pauvre type qui, à cause du Parkinson, tremblait du coude gauche sans savoir que cela signifiait « je le prends sans sucre, merci », pourrait se retrouver ruiné jusqu'à la huitième génération.Ultérieurement, les onomatopées seront également retirées du domaine public. On poursuivra le vent qui fuit, les robinets qui grincent, etc.Pour finir, le silence sera privatisé. Désespérés devant leur impuissance à s’exprimer, les pauvres en seront réduits à se flinguer, sans même le recours d'un silencieux.C’est pourquoi il est de toute première urgence que le gouvernement Couillard devance le phénomène en nationalisant le langage. Mais on pourrait craindre que Logo-Québec, après avoir installé des barrages sur le flot intarissable de certains verbomoteurs, permette la création de syntaxeurs privés…

Héros


mardi 25 mars 2014

Sutton Totem

Sutton Totem
Paroles : Denis Lord
Musique : Simon Estérez

Au cœur des Appalaches les montagnes se hachent magnifiques féeriques
Animales, minérales et botaniques
Lynx coyotes, ours noirs
Dans le dépotoir de nos nuits noires
Les espèces survivent
convives  épars qui laissent des traces
Habitants oubliés de nos contrées dénaturées par les descendants de Jacques Cartier
Les espèces se tuent parfois se perpétuent
Dans l’ignorance l’indolence ou la cruauté des habitants partisans du développement immobilier

Claytonie bléphilie bartonie de Virginie hémorragie de chlorophylle
tales par tales le végétal détale des forêts méridionales
Vulnérables menacées ou disparues élyme velu rubanier branchu
Cardamine Aubépine stellaire fausse-alsine adieu les copines

Sutton Totem
Sutton t’aime

Dans les rues de Sutton je bomme et j’me démène
J’ai l’ADN bohème des énergumènes  de l’écosystème
Je suis l’ion de la population l’associé de la société
L’allié des aliénés L’attribut de la tribu




Un tissu social composite hétéroclite un endroit insolite sa communauté m’habite
Sutton Néoruraux homos francos
Anglos qui achètent des billets de loto
Accro du bingo toxico du bio
Du Plateau du Congo ou de Caniapiscau (Bordeaux!)

Sutton Système
Sutton t’aime


Docteur soudeur plongeur élagueur
Notaire secrétaire postière ou caissière
Richard Brodeur Cindy Jolicoeur
Carol Mulcair Samuel Labossière

Vendeuse, chauffeuse masseuse ou livreuse
Artiste touriste dentiste ébéniste
Edmond Deleuze Lili la traîneuse
Gladys Matisse Ivan Kasparatis

Sutton Totem
Sutton t’aime


Sutton Système

L'aiglon s'envole du quai pour Dettah.


Le jour de l'aigle


dimanche 23 mars 2014

La pêche


Souvent mes amis, surtout à Val-Paradis, me demandent : Denis, pis, la pêche aux Territoires du Nord-Ouest, c’est comment?
Faut être honnête, c’est pas le poisson qui manque ici, il y en a presque autant qu’à l’Aquarium de Québec. Le vendredi de la Thanksgiving à Yellowknife à l’entrée de l’autoroute 4, il y a un traffic monstrueux de corégones, de harengs, d’Inconnus, de perchaudes et de truites arc-en-ciel qui partent en vacances. On se croirait dans une boîte de sardines. En fait, les lacs des TNO, selon la région, sont composés de 40 à 74% d’urine de poisson.
 Devant le bureau de poste, t’as toujours trois ou quatre touladis qui jouent au parchesi. Souvent, chez le barbier, y a des barbottes qui papotent en attendant de se faire faire le tour des oreilles. Mon psychanalyste est un brochet. Bref, il y a beaucoup de poissons ici et ils sont généralement bien acceptés par la population locale. Mais je trouve quand même exagérés qu’ils aient droit aux places assises dans les autobus, sans parler de diverses déductions fiscales un peu tirées par les cheveux.
Alors la pêche, ça va très bien, et on peut pêcher pas mal n’importe où. Dans la file d’attente à l’urgence de l’hôpital, y a toujours un ou deux gars avec une scie mécanique enfoncée dans le thorax qui taquinent la morue. Le bureau de poste, vers l’heure des Simpson, est également un lieu propice. J’ai même attrapé un brochet durant une séance de psychanalyse. Les pêcheurs les plus courageux prennent un bateau et vont pêcher sur le lac, mais ce n’est vraiment pas nécessaire. En fait, la pêche est tellement facile que les hameçons et les appâts sont interdits, sinon ça ne serait plus du jeu. Faut quand même aimer la narine, pour pêcher aux TNO, parce que les poissons d’ici ont des gros nez. Tous ne les digèrent pas si facilement.
Parmi les espèces territoriales les plus remarquables, on retrouve la flabouche à groin isocèle. Il s’agit sans conteste d’un des poissons qui aiment le moins la pêche au monde, et j’en ai vu plus d’une se défiler des pêcheurs sans éprouver la moindre perte d’estime de soi. Son tonus narcissique, remarquablement vigoureux, exige d’ailleurs une cuisson prolongée. Faut-il encore présenter la perchaude dubitative? Sa perplexité a augmenté de manière draconienne l’acidité des lacs où elle se meut, jusqu’à les rendre impropres pour d’autres espèces. Enfin, l’habitat privilégié de la barbue douche-bag est le lac artificiellement créé par le liquide provenant de la fracturation hydraulique. Et que dire de la babiloche impromptue, un véritable miracle de la biologie? Cette espèce se distingue par une glande sudoripare placée à l’extrémité de son sinus. Cette glande est d’une productivité si phénoménale que la babiloche peut littéralement nager dans sa propre sueur, faisant ainsi l’économie de l’eau. C’est pourquoi on retrouve aujourd’hui la babiloche jusque dans les grands plateaux désertiques des supermarchés et des magasins à rayons; on envisage même de la classer « espèce envahissante ».


Apitoiement sur soi-même


Se relever

Il a pas su se relever et qui, à sa place, aurait mieux fait que lui? 
Le voilà au bout de la route. Mais qui sait?







Seul et fatigué

Rester debout et fier, ne pas freiner, sourire au conformisme et à l'indifférence.

La pente


Snowking 2014


Les femmes du Nord

Mes amis du Québec, à Notre-Dame-du-Rosaire surtout, me demandent souvent : Denis, comment sont les femmes aux Territoires du Nord-Ouest? 
Sur une île près du 70e parallèle, à l’équinoxe d’automne, un poil sort d’une caverne à chaque aurore. Si, alors, il sifflote Gens du pays, ça y est. Tous les autres poils sortent de la caverne et commence la grandiose et tragique migration annuelle des poils jusqu’à l’embouchure de la rivière Yellowknife. Si un extraterrestre passait alors dans le ciel, il verrait comme une gigantesque perruque qui marche. Je ne pense pas qu’il aurait envie de nous envahir.
En route, durant l’exode, des  millions de poils périront, dévorés par des morses, avalés par des bols de soupe, emportés par le vent. Ceux qui ont assisté à de telles scènes en restent durablement meurtris.
Mais d’aucuns atteindront leur objectif : les femmes des Territoires du Nord-Ouest, pour les protéger du froid. On dit qu’elle sont les plus poilues du monde. Vu du ciel, on dirait un gnou, un immense gnou.
Mais ce titre de pilosité suprême leur est contesté. Chaque printemps, les femmes à barbe du Yukon, du Nunavut, de l’Alaska et des Territoires du Nord-Ouest se rendent dans une île secrète de la mer de Beaufort où ont lieu toutes sortes d’épreuves. Même les gars de ZZ Top ne pourraient pas rentrer là. Il y a du tir de skidoo avec la barbe, du tir au poignet mais par le poil de nez, de la tire d’érable mais avec des cheveux, etc. Tout cela est mesuré par un arpenteur agréé. La région gagnante reçoit une boîte de pops au crabe des neiges.
Puis, à la fin du printemps, les poils disparaissent aussi mystérieusement qu’ils sont velus. Ils sont retournés se reproduire sur une île près du 70e parallèle.


Double péril jaune

On a beau prétendre que les races c'est du pareil au même, un questionnement s'impose. Montréal est une ville plutôt cosmopolite; pourquoi alors n'y voit-on jamais des nains hassidims ou des Noirs trisomiques? Parce que les Juifs cachent leurs nains et que les Noirs sont trop pauvres pour être mongoliens? Ne me faites pas rire!

De la même manière, les femmes d'origine chinoise sont assez bien représentées parmi la population montréalaise. Il y en a des superbes, il y en a des laides, des prolétaires ou des intellectuelles, des prépubères et des post-ménoposées, Mais dans un cas comme dans l'autre, il s'avère rarissime qu'elles aient de gros seins. Certains croient que, nationalistes ou communistes, les Chinois les gardent pour eux.

Personnellement toutefois, j'ai eu la chance de rencontrer Song, une Chinoise née dans une banlieue de Toronto qui, entre autres qualités, était dotée d'un buste imparable (Song, pas la banlieue). J'en ai beaucoup joui et de magnifiques souvenirs m'en sont restés même si, maintenant, j'ai peur qu'une triade revancharde ne cherche à m'occire pour avoir abusé d'un bien national aussi précieux. Saint-Normand Bethune, protégez-moi!

Je n'ai pourtant jamais fantasmé sur les Asiatiques contrairement à un grand nombre d'entre vous, les mecs. On sait ce que c'est, pas vrai: des femmes racées et énigmatiques qu'on imagine soumises, la science orientale de l'amour, le riz qui ne colle jamais...

Mais Song n'était rien de tout ça. Ni soumise ni énigmatique. Elle fumait comme un trou (qu'elle avait d'ailleurs fumant), collectionnait les cuites et pour ce qui est du riz, ne s'en approchait jamais davantage qu'en s'emparant d'une des bouteilles de saké qui jouxtaient l'ouzo à la SAQ de Queen Mary. Sinon, oui, elle était chinoise, tout ce que vous pouvez imaginer: menue, taille étroite, de petites mains aux doigts fins et habiles, de longs cheveux noirs luisants, un air de jeunesse immanente, des yeux magnifiques qui reflétaient tout aussi bien la candeur que la cruauté.

Une Chinoise bref, sauf dans l'attitude, et dans cette étonnante et somptueuse paire de nichons qu'elle portait en devanture, des seins solides, d'une ultime concrétion, avec des mamelons baveux et frondeurs qui vous regardaient de haut. Et moi aussi je les prenais de haut, par le haut ou par le bas, ou encore direct au centre, droit au mamelon. Pour le grand plaisir de Song. Elle était très sensible de la poitrine, un véritable épicentre orgasmique, et aimait que je l'appréhende de multiples manières, que je la perçoive sous toutes ses courbes. Parfois, je faisais presque semblant que ses seins ne m'intéressaient pas, léger, nomade, un rien machinal. Dans d'autres temps je les massais longuement, les triturait et les malaxait jusqu'à la colonne, les léchait et les suçait jusqu'à ce que Song geigne.

Souvent, suivant sa nature impulsive, lorsque nous nous apprêtions à faire l'amour, Song, d'un geste machinal, dégrafait elle-même son soutien-gorge avant de le rejeter au loin d'une main indifférente. Non! Non! Laisse-moi faire! Lèche! Moi faire! Les femmes sont tellement habituées à porter des seins que malgré tout ce qu'elles peuvent savoir des fantasmes masculins, elles traitent ce moment de grâce comme si elles partaient leur machine à laver. Alors que si parfois, ces femmes, on a envie de leur arracher leurs vêtements et de les mordre (les femmes, pas la banlieue), à d'autres moments, on préfère prendre l'infini du temps pour admirer le panorama, tâter le tissu, goûter ses transparences et ses opacités. Ensuite, à l'abordage, camarade! Bref, on aime bien se réserver le droit d'enlever soi-même ce tissu de rêves pour se sidérer dans la voie lactée.

Song n'était pas qu'impulsive lorsqu'elle enlevait son soutien-gorge. Elle avait des jugements brutaux, des désirs urgents, des colères foudroyantes. Cette femme, elle te propulsait de l'Eden à la Géhenne en moins de deux pulsations cardiaques. Mon chéri mon hostie, rentre pas après minuit... Touche-moi pas j'te tue yes, yes, yeahh, yeaaaaaaaahh, keep on keeponkeeeponkeepon. Une tigresse, quoi que née l'année du cochon, avec un ascendant Garde Rouge. Fallait constamment être sur les siennes, de gardes, sur le qui-vive, paré à ce que Woodstock se transforme en Tiananmen, le rave en cauchemar. Dans le désordre chronologique.

Abstraction faite de nos cinq ruptures, nous avons passé à peu près une année ensemble, une année très chargée où nous avons beaucoup voyagé. Quand nous allons voir ma soeur à Québec, prise de bec; nous écoutons des soap dans un motel du Vermont, Song me passe un savon; en Virginie elle me passe à tabac; en randonnée pédestre dans les Cantons de l'Est, elle m'admoneste; escale à Karpa-la-Juive, elle m'invective; en Irlande elle m'enguirlande, en Hollande me vilipende, bref, en tous lieux et toutes circonstances, elle me tance.

J'endurais. Après tout, je n'étais pas exempt de culpabilité. Ni de calculs. Perdre cette Messaline pour un excès d'adrénaline? Deux gros tétons pour de bon? Eh puis bon, c'était une femme par ailleurs futée, qui savait aussi se montrer affectueuse et marrante.

Le bouquet, je l'ai cueilli à Paris. Le dernier de nos renouements, en odeur de dernière chance, avec des fragrances de quitte ou double. Les plombs ont pété d'aplomb.

Vacances en Europe. Dix jours. Escale chez mon frère en banlieue de Paris. Nous visitons le Louvres. On aurait pu y passer deux semaines, un an. Dans une salle, il y avait le "Radeau de la Méduse", célèbre croûte de l'époque romantique signée Théodore Géricault 1818

- C'est horrible, cette peinture est en train de se détériorer. Dans trois ans, elle va tomber en morceaux. Il faudrait environ cinq millions pour la restaurer mais le Musée ne trouve pas l'argent.

Elle avait vraiment l'air désespéré. C'était la première fois que je l'entendais parler de peinture.

-Bof, anyway, on l'a vu, Le Radeau, il doit être reproduit dans une centaine de livres de 15 langues différentes, on le trouve sur Internet. Il va en rester des traces. L'original dans le fond, on s'en tape. Cinq millions pour le restaurer, calvaire, qu'ils les donnent à de jeunes artistes pauvres.

Je lui balançai une tirade dans le genre, en plus articulé. Elle me balança une claque sur la gueule, avec ses propres articulations. Song choquée, moi médusé, pétrifié. J'ignorais qu'elle avait tant à coeur l'oeuvre de Géricault. Un souvenir d'enfance peut-être. Ses grands-parents devaient être des boat people ayant franchi le Pacifique à fond de cale, se partageant quotidiennement à cent une boîte de sardines et buvant leur urine (pas celle des sardines).

Dans la foulée, elle a continué à m'invectiver, me traitant d'inculte, d'ignare, d'anar, de barbare, de connard. Se détournant de la Méduse, quelques touristes japonais se mirent à nous filmer sur leur caméra vidéo, délaissant les chef d'oeuvre du Louvres pour du live.

-Les Froggies, tout ce qui ne vient pas des États-Unis, ça vous passe cent pieds par-dessus la tête!

-Voyons Song, j'te visais pas personnellement, c'est juste de la peintu...

-Gros colon, tu comprends rien! Pour toi, si c'est pas Bruce Willis, c'est de la pisse!

-Écou...

-Non seulement tu comprends rien à l'art mais en plus tu me fais honte devant tout le monde! Et vous les Ducon Nippons, occupez-vous de vos miches!

Song se retourna contre les touristes qui nous filmaient. Elle saisit le 35 millimètres de celui qui était le plus près de nous, un quadragénaire bedonnant, le tira par terre. et foutut un coup de pied dedans. Elle arrachât des mains d'une mignonne punkette un Sony pour l'écraser avec ses Doc Martens. Les deux autres vidéastes du groupe se replièrent stratégiquement tout en continuant à filmer.

Forcément, vu la vertigineuse loufoquerie de la scène, l'hilarité me chatouillait les lèvres. Mais la plus petite dilatation de ma rate prendrait des dimensions hiroshimesques, je le savais. L'abstention prévalut.

Se montrant les poings, Song et la punkette s'insultaient rageusement, chacune dans sa langue colorée. Nippon et Cantonais, touts jaunes unis, ça s'en envoyait des vertes et des pas mûres.

Sortant de l'ascenseur au pas de course, haletants, les gardes de sécurité arrivèrent juste à temps pour empêcher les belligérantes d'en arriver aux coups. Les soldats bleus de la culture expédièrent manu militari tout de qu'il y avait de jaune dans la salle hors du Louvres. Je suivis.

Dans le wagon de métro qui filait vers la Défense, debout, Song, j'avais l'impression, revisionnait la scène dans sa tête. Je me demandais de mon côté si j'avais vraiment envie d'acheter un billet pour la sequel. Elle me jetait parfois des regards de feu, brûlant de reproches, de rancoeur et de férocité. Je cherchais quoi dire pour améliorer l'atmosphère. Tourner l'affaire en dérision? La raisonner? Changer de sujet? À peine les phrases se formaient-elles dans ma tête qu'elles se disloquaient et fondaient aussitôt devant l'impossibilité de renflouer notre navire.

Au milieu de la foule, obéissant à une impulsion, je l'ai saisie, retournée dos contre moi, je l'ai embrassée dans le cou, lui tirant les cheveux d'une main, lui pétrissant les seins de l'autre.

Je suis sorti à la station de métro suivante et je n'ai pas revu Song, pas même dans l'avion qui devait nous ramener tous deux en Amérique. Sur le siège qu'elle avait réservé siégeait un infographe français qui venait tenter carrière au Québec. Il sentait mauvais.

Quelques années plus tard, la même semaine, j'ai cru la voir et dans un film porno et dans la rediffusion d'un concerto de Brahms 

Les 3 M


Je rêvais de Nord, je rêvais d’eau, les deux rêves se sont télescopés aux Territoires du Nord-Ouest.
À Yellowknife, le Capitaine m’a dit : « Il y a trois sortes de personnes ici : des missionnaires, des mercenaires et des mésadaptés, des gens qui sont nulle part à leur place. T’es dans quelle catégorie? »
J’avais envie d’y répondre : Aucune, je suis en train de rêver.
Ben des Amérindiens font partie des mésadaptés, ici comme ailleurs nulle part à leur place. Une femme m’a dit : ma grand-mère avait honte d’être Amérindienne, ma mère avait honte, pis moi aussi. Quand j’étais petite, je me frottais la peau pour devenir plus pâle. C’était pas cool d’être Amérindienne. Ça m’a pris du temps à guérir.
Au centre-ville, les toilettes des restaurants sont tout le temps barrées. Y ont-tu peur qu’on leur vole leur marde? Ben non, c’est pour pas que les Amérindiens y dorment. Ou qu’ils s’y lavent, pour essayer de devenir Blancs. D’ailleurs, c’est au A&W qu’il y a le plus d’Amérindiens, et si tu veux avoir les clés des toilettes, faut que tu les demandes au plus ÉNORME agent de sécurité de tout Yellowknife. CQFD : Va te blanchir ailleurs.
C’est cosmopolite ici, tellement. J’aurais pas pensé. Mais pas le cosmopolitisme montréalais. En partant, en plus du français et de l’anglais, y a neuf langues officielles, juste pour les Amérindiens, les Métis et les Inuits, qui sont 52% de la population. Et y a plein de Philippins et de Chinois, de Somaliens. Faudra ben qu’un soir un Somalien me raconte la ronne qui l’a mené au 60e parallèle.
Un après-midi sur le bord du Frame Lake. La lumière est tellement belle, l’air scintille, vibre doucement. C’est Folk on the rocks. Un gars joue du piano, à la Satie. Des enfants de toutes les couleurs dansent ensemble. Games without frontiers. Je suis tellement heureux que j’ai envie de pleurer. Je me dis que maintenant, c’est correct, je pourrais mourir. Comblé. Pus de regrets.
Une telle plénitude. Comme une récompense de la vie pour avoir arrêté de boire, pour essayer d’être un bon gars. Mais les récompenses, ça existe pas. Des tonnes de bien meilleures personnes meurent tous les jours sous les mitraillettes de la connerie. Alors je meurs pas, tu penses. Pas avant d’avoir serré la main au poisson inconnu (Stenodus leucichthys), d’avoir revu mes amours.

Après l’ouvrage quand je rentre chez nous, Saint-Ex et LaFontaine se télescopent. Je croise souvent des renards, ça ramène invariablement mes pensées  à mon tit-gars, on avait bossé ensemble sur sa présentation orale du Petit Prince. Mais les renards me demandent pas de quelle planète je viens, ni si on y trouve des poules. Et pis y a les corbeaux, vraiment énormes, très bigues, que les corneilles ont l’air d’être des colibris à côté de… Quel chant horrible, la honte de la corporation des oiseaux... jusqu’à ce que tu découvres de quoi ils sont vraiment capables.  Les renards parlent pas non plus aux corbeaux. Yellowknife, anyway, c’est pas une place de fromages. Par contre, le brochet est on ne peut plus frais.

Les couleurs de Yellowknife




Il y avait vraiment, avant, une tribu qu’on appelait les Couteaux Jaunes, ici à Yellowknife. Ils ont presque été exterminés par les Côtes de chien et depuis, les survivants se sont plus ou moins assimilés aux Chipewyans. Aujourd’hui dit-on, un autre groupe Déné a pris leur place et cherche à acquérir l’appellation Yellow Knives.
Avec Debbie vendredi, on a mélangé les traditions culinaires, on a créé un plat indien, doublement indien, le curry de caribou aux navets, désormais appelé le curybou. Ah la cardamome, verte ou noire, hum, Dieu tenait décidément la forme quand elle l’a inventée. Elle était vachement inspirée, plus que le jour des caries en tout cas.
Debbie est une américaine été élevée à Yellowknife il y a 40 ans. «Il y a avait un seule famille noire à l’époque, se souvient-elle, celle de Monsieur Green On trouvait ça drôle.» Aujourd’hui, Yellowknife est d’un cosmopolitisme impressionnant, dans la lignée finalement de ces grosses villes de l’Ouest comme Winnipeg ou Calgary. Nous sommes plus au Nord et c’est tout. On dit qu’il y a à Yellowknife des gens nés dans 108 pays.
Shirley est directrice générale d’une compagnie de taxi. Les dernières années, elle a eu des chauffeurs de Somalie, Liban, Pakistan, Iran, Hongrie, Grèce, Serbie, Croatie, Zimbabwé, Égypte, Érythrée, Corée, Vietnam… Elle a eu des Indiens, mais pas d’Amérindiens. On dirait que c’est pas une job qu’ils font ici, comme agent de sécurité d’ailleurs. Mais il y a une Inuite qui est répartitrice. Toute petite, elle doit mesurer cinq pieds et deux, et elle a eu sept enfants avec un Somalien, qui sont souvent des grands jacks secs. J’aimerais bien voir leurs enfants! Somalinuitiens?
Plusieurs de leurs enfants ont été élevés dans la culture et la foi de leur père. « Moi j’ai perdu ma culture, qu’elle m’a dit la petite madame. Ma mère a été dans les pensionnats et elle a désappris sa langue, alors elle a pas pus me l’apprendre. Au moins, quelques-uns de nos enfants auront la culture d’un de leurs parents.» Le gars a amené trois de ses enfants en Somalie l’an dernier. Du sub-arctique au semi-désertique, du Grand Lac des Esclaves aux déserts de sel, d’une économie à l’autre, méchant choc. Quoique, la plupart des Amérindiens que j’ai rencontrés sont plutôt tiers-mondistes, même s’il doit bien en avoir dans la classe moyenne amérindienne et élevée. La récurrence de disparitions et de meurtres de femmes autochtones signifient bien leur statut.
Depuis que je suis ici, j’ai croisé quelques couples hétérogènes. Ce sont toujours des Blancs qui sont avec des femmes de couleurs, jamais le contraire. Ça a peut-être à voir avec la survie, l’idée d’un pourvoyeur mieux adapté à la société nord-américaine.
Pas de grandes démonstrations à faire avec ce texte.
Juste dire bonjour, esquisser les mouvements de culture, leurs mélanges. Dans ce dernier cas, je souhaite juste qu’on en garde le meilleur de deux. Comme le curybou, les franges à la Daniel Boone sur la kippah, le shamanisme Gwich’in/ serbe et le country croate.

Une visite à Yellowknife






Yellowknife est une ville d’une taille agréable, je dirais. Elle est à la fois juste assez grande pour qu’on s’y perde, mais juste assez petite pour que ce soit toujours aux mêmes places. En fait, ça ressemblerait à Brossard si Brossard était sur le bord d’un lac, ou encore à Coteau-sur-le-lac si on remplaçait le Coteau par Brossard. En tout cas, il y a un lac.
La population est très cosmopolite. Il y a des Canadiens-Anglais de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba et de la Saskatchewan, des Ontariens et des Albertains. Il y a même un Québécois, mais seulement un jour par semaine, quand il vient voir son agent de probation. Avant de partir, ma sœur m’avait bien averti : « Fais attention, y a plein de Red Necks là-bas. » Oui, c’est vrai, ils sont durs, mais équitables.  S’ils te pètent le bras droit, aie pas peur, ils vont te péter le bras gauche aussi. Sous leurs apparences frustres, ce sont des gens qui ont l’intuition de la symétrie. Et s’ils t’obligent à payer les plumes, le goudron est toujours sur leur bras. Ça fait plaisir de rencontrer du monde qui ont le cœur sur la main et l’autre main dans ta face. Au mois de septembre, il y aura le premier défilé gay de l’histoire de Yellowknife, sur la rue Principale. L’excitation est à son comble : y a plus une barre à clou disponible dans les magasins de la région depuis 2 semaines  
Du côté de la nature, la biodiversité est au rendez-vous : on a des mines de diamant, d’or, de manganèse et de tungstène, Cette année, nous avons eu un été formidable, chaud et long : 1er jour, éclosion des moustiques; 2e jour, les moustiques nous mangent; 3e jour, les frappe à bord mangent les moustiques comme entrée et nous comme plat principal.
J’ai vraiment hâte de commencer à mon nouvel emploi.   L’Aquilon a augmenté son tirage dernièrement, nous en sommes à 42 exemplaires par semaine. Un de nos nouveaux abonnés est le Père Gontrand Numélou, un capucin d’obédience caquo-maoïste.  Il est le premier homme à avoir traversé le Grand Lac des Esclaves à bord d’un sous-marin mu par une éolienne. Il a consacré un ouvrage en huit tomes à l’entrevue d’un brochet de 116 ans, qui a longtemps accompagné Klaus Schulsze aux castagnettes, et a tricoté les premières chenilles de bulldozer en poil de nez d’outarde. Nous sommes fiers d’avoir le Père Numélou parmi nos abonnés.
Les Québécois -les Français du Plateau, particulièrement-, présument que les Canadiens se nourrissent mal. Rien n’est plus faux. Nous avons à Yellowknife le meilleur Cheez-Whiz au monde. Il n’y a rien qui rapproche davantage de Dieu que de manger du Cheez-Whiz sous les aurores boréales, au doux ronronnement des VTT.