T’essaies
de lire au lit, assis à côté d’elle qui lit aussi. Tu devrais avoir la paix,
non?
Oh
non.
-
Eh, Joël, c’est super-bon ce livre! Écoute ce passage!
Blablabla,
blablabla blabla...
T’as
envie de lui réciter à voix haute, toi aussi, le bouquin que tu lis. L’Art
de la Guerre, le dernier L’actualité, ou encore une
circulaire de Provigo. Et quand je dis à haute voix, c’est mégaphone pleine
puissance, au max les décibels.
-
AH BON? EH TOI, ÉCOUTES ÇÀ, JE NE TE LE DIRAI PAS DEUX FOIS!: «UNE SALADE PEUT
ETRE MANIPULÉE DURANT TROIS JOURS AVANT D’ETRE OFFERTE AUX CLIENTS D’UNE GRANDE
SURFACE.» TU VEUX QUE JE TE LISE LE RESTE? OU QU’ON LISE CHACUN TOUS LES DEUX
NOS LIVRES À VOIX HAUTE? ON N’Y COMPRENDRA QUE DALLE MAIS ON RENOUVELLERA NOTRE
VIE CONJUGALE!
Non,
tu piles sur tes sentiments. «Je suis probablement trop égoïste.» Tu fais un
«eh ben» un peu encourageant, mais pas trop quand même. En même temps, tu te
demandes comment la calisse de folle se rend pas compte qu’elle te fait chier,
que t’aimerais ça avoir un hostie de cinq minutes de paix dans la journée, pas
obligé d’être amoureux, drôle, empathique, serviable, empressé.
-Chéri,
ce mec c’est vraiment un écrivain! Écoute ce passage...»
En
plus, elle répète trois fois tout ce qu’elle dit, la sacrement. On dirait une
bègue qui souffre d’Alzheimer. Une chance que tu la trompes pas avec son clone! T’es tellement con, t’en serais capable.
Ça
te tente pas de la crisser là? Retourner à Montréal, tranquille, peinard? Te
commander des mets chinois, fantasmer dans les bars, fermer la lumière et te
finir au poignet, recommencer une autre journée, souverainement seul?
Ça
te tente pas de t’en débarrasser une bonne fois pour toute? Un accident est si
vite arrivé...
«Votre
honneur, en son âme et conscience, mon client n’a jamais voulu décharger sa 12
à bout portant sur sa conjointe pour ensuite la dépecer, la démembrer et donner
ses morceaux à manger au monstre du Lac Memphrémagog. Il avait bu 13 bières, de
mauvaise qualité. Il l’a tout simplement prise pour un chevreuil... Bien sûr
votre honneur, la saison de la chasse était terminée, mon client est disposé à
suivre une thérapie avec Braconniers Anonymes.»
La
paix, la sainte paix.
Ou
encore la perdre dans le bois, elle sait même pas que le soleil se lève à
l’est, le soleil et elle, c’est le jour et la nuit...
La
pousser en bas du canot, cueillir le mauvais champignon, échapper une perceuse
dans son bain, lui donner un blind date avec 15 serial killers...
T’es trop couillon.
-
Chérie, je trouve que t’as vraiment le tour d’aller chercher l’essence de tes
lectures.
L’essence...
celle qui allumerait le bûcher où trônerait Katia (ou Michelle, ou Dominique,
ou Alexandra), juchée sur tous les livres que tu as eu le malheur de lui
conseiller. Alexandrie? Qu’une étincelle. Le couple ? Un accommodement
déraisonnable ; même les plus beaux souvenirs finissent par grincer. On a
beau tenter de se les fabriquer le plus dorés possible, ils finissent toujours
par se barrer en couilles. Ça t’a des relents nauséabonds de nectar tourné en
eau de boudin. Comme si, aux noces de Canaa, Jésus avait changé du Mouton
Rotschild en jus de poubelle... L’amour? Un euphémisme pour bâillon. Un concept
romantique dicté par les hormones et le besoin de sécurité affective.
-
Tu es dans la lune mon chéri! À quoi tu penses?
-
Euh... Francine (ou Nancy, ou Véronique, ou Anne-Hélène), où t’as rangé
«Suicide, mode d’emploi» ?
-
Sur la même tablette que «Comment apprêter un gigot en 20 minutes»… Pourquoi,
tu veux te tuer?
-
Non, je veux griller une dinde.
- C’est la tablette
du haut.